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Royal - Page 8

  • Philippe, le frère du roi, Monsieur sans-gêne

    « Le goût de Monsieur n’était pas celui des femmes, mais le goût de Henri III, il ne s’en cachait même pas… » Saint-Simon (Mémoires).

    Lorsque Philippe naît, en 1640, deux ans avant la mort de son père Louis XIII, sa mère la régente Anne d’Autriche l’habille en fille. Et elle l’appellera « ma fille » jusqu’à l’adolescence, suivant ainsi le conseil de Mazarin qui craignait de voir Philippe se dresser en rival de son frère aîné, Louis XIV, comme Gaston d’Orléans avait comploté contre son frère Louis XIII.

    Philippe sera élevé de la manière la plus efféminée, afin qu’il ne puisse jamais devenir un chef de parti et prétendre au trône. Est-ce cette éducation de fille qui a été la cause de l’homosexualité de « Monsieur le frère du roi » ? Non, sans doute, et prenons garde aux idées toutes faites : si Monsieur est très coquet, porte de nombreux bijoux et collectionne les antiquités, ce n’est pas pour autant une folle.

    Remarquable combattant, il se couvre de gloire sur les champs de bataille et sa bravoure est reconnue par ses soldats qui disaient de lui qu’« [il craignait] plus le hâle du soleil que de recevoir un boulet ! », faisant allusion à l’aversion des aristocrates pour un bronzage qui trahissait le travailleur des champs.

    Tordant le cou au cliché qui veut que les homosexuels soient des poltrons, le prince efféminé charge à la tête de ses troupes, l’épée au poing, sous la mitraille. Les nombreuses victoires que remporte Philippe irritent le roi, jaloux de la gloire militaire de son frère. Après le triomphe de Monsieur sur le prince d’Orange à la bataille de Cassel, Louis XIV refuse désormais de lui confier le commandement de l’armée.

    Le 30 janvier 1670, le château de Versailles est en émoi. Le bruit court que Madame (Henriette d’Angleterre, que Monsieur a épousée en 1661) a obtenu l’exil du chevalier de Lorraine, l’amant de son mari. Jusque-là, le roi avait toléré les amours de son frère, mais le chevalier de Lorraine avait dépassé les bornes en manifestant publiquement sa jalousie vis-à-vis d’Henriette. Louis XIV avait donné satisfaction à l’épouse délaissée en exilant le trop séduisant chevalier. Quelques mois plus tard, Henriette meurt subitement et la rumeur publique accuse le marquis d’Effiat – nouvel amant de Monsieur – de l’avoir empoisonnée avec une potion envoyée par le chevalier de Lorraine. (En fait, il est plus probable que Madame soit morte d’une maladie abdominale héréditaire chez les Stuart.)

    Monsieur se jette alors aux pieds du roi, le supplie de rappeler le chevalier de Lorraine. La scène du retour en grâce du chevalier est rapportée par Mme de Sévigné, dans une lettre du 16 février 1672 : « “Eh bien, dit le roi, il reviendra, je vous le redonne et je veux que vous m’ayez toute votre vie cette obligation, et que vous l’aimiez pour l’amour de moi… Je fais plus : je le nomme maréchal de camp dans mon armée.” Là-dessus, Monsieur se jeta aux pieds du roi, lui embrassa les genoux, et lui baisa une main avec une joie sans égale. Le roi le releva et lui dit : “Mon frère, ce n’est pas ainsi que des frères doivent s’embrasser.” Et il l’embrassa fraternellement. »

    Quelques mois plus tard, Philippe d’Orléans épouse en secondes noces Elisabeth Charlotte, princesse palatine, dont les lettres et les Mémoires sont une source précieuse de renseignements sur l’homosexualité de son mari. Raison d’État oblige, celui-ci remplit ses devoirs conjugaux, comme il s’en était montré capable avec Henriette d’Angleterre. Mais pour parvenir à honorer la volumineuse Allemande, il consolide sa virilité défaillante avec un chapelet de reliques. Sa femme, surprise par cet accessoire – ancêtre du cockring –, lui reproche ce procédé peu catholique : « Je vous demande pardon Monsieur, mais vous ne me persuaderez point que c’est honorer la Vierge que de promener sur son image les parties destinées à ôter la virginité. » Est-ce grâce à cette technique originale que Monsieur fait trois enfants à la princesse, dont le troisième est un garçon, Philippe, qui deviendra le régent du royaume à la mort de Louis XIV ?

    Ses obligations dynastiques accomplies, Monsieur n’a qu’une hâte : quitter le lit conjugal. Il ne rencontre plus sa femme que dans les réceptions officielles et vit avec ses favoris, dont il épouse les querelles et les prétentions. La plus extravagante est celle du marquis d’Effiat, qui veut la charge de gouverneur du jeune Philippe. L’amant du père deviendrait le gouverneur du fils ! Monsieur ose appuyer cette demande auprès du roi, mais la princesse se rebelle : « Ce ne serait pas un honneur pour mon fils si l’on pouvait penser qu’il est la maîtresse de d’Effiat, car il est certain qu’il n’y a pas de plus grand sodomite dans toute la France, il a toujours sa chambre pleine de pages et de jeunes garçons. Il donnerait, ma foi, de beaux exemples à mon fils ! » Elle en appelle au roi lui-même.

    Louis XIV déteste les homosexuels, cependant, il ménage les favoris de son frère qui lui servent d’espions. Il fait semblant de conserver sa faveur à d’Effiat, mais il ordonne à Monsieur de renoncer à lui confier la charge de gouverneur de son neveu. Ce n’est qu’une feinte du souverain pour obtenir des rapports précis sur les intrigues de son frère, tout en obligeant les favoris à influencer Monsieur dans le sens de sa politique.

    Bientôt, Monsieur délaisse complètement sa femme qui semble s’accommoder de cette situation. Mais elle n’accepte pas de bon coeur que l’argenterie de sa dot serve à payer les nouveaux mignons de son mari : « Monsieur a fait fondre et vendre toute l’argenterie qui est venue du Palatinat et a distribué l’argent à ses mignons. Chaque jour, on lui en amène de nouveaux et, pour leur faire des cadeaux, il vend ou met en gage tous ses bijoux. Monsieur dit hautement, et il ne l’a pas caché à sa fille ni à moi, que, comme il commence à se faire vieux, il n’a pas de temps à perdre, qu’il veut tout employer et ne rien épargner pour s’amuser jusqu’à la fin. »

    Monsieur meurt subitement en 1701. Le premier soin de la princesse est de brûler les lettres de ses mignons. « Si l’on pouvait savoir dans l’autre monde ce qui se passe dans celui-ci, feu Monsieur serait fort content de moi, car j’ai cherché dans ses bahuts toutes les lettres que ses mignons lui ont écrites et je les ai brûlées sans les lire, afin qu’elles ne tombent pas en d’autres mains. » Elisabeth montre plus d’indulgence pour l’homosexualité de son mari que l’opinion publique.

    Une chanson qui court les rues de Paris (conservée à l’Enfer de la Bibliothèque nationale) témoigne que la cruauté des homophobes ne date pas d’aujourd’hui : « Philippe est mort la bouteille à la main. Le proverbe est fort incertain, qui dit que l’homme meurt comme il vit d’ordinaire. Il montre bien le contraire, car s’il fut mort comme il a vécu, il serait mort le vit au cul. »

    Mais n’oublions pas que le fils de Monsieur, Philippe, sera la « tige » des Bourbon-Orléans, l’ancêtre des principaux souverains d’Europe jusqu’au 19e siècle, et de presque tous les princes catholiques vivant ou régnant encore, comme Albert de Belgique. Étonnante lignée pour un prince qui n’aimait pas les femmes !