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Royal - Page 5

  • BUCKINGHAM, AMANT DE DEUX ROIS, PÈRE ET FILS

    Proclamé roi d’Écosse en 1597 à l’âge d’un an, par des nobles révoltés contre sa mère Marie Stuart, Jacques VI vit son enfance sous la coupe de plusieurs régents. Intelligent, il bénéficie d’une brillante éducation humaniste grâce à Georges Buchanan, qui avait été le professeur de latin de Montaigne.

    Jacques n’a jamais eu de maîtresses, c’est vers les garçons que le portent ses désirs. Dès son adolescence il manifeste une tendre amitié à Patrick Gray et à Alexandre Lindsay, avant de tomber amoureux de son cousin Esmé Stuart d’Aubigny, qui arrive de France. Aubigny initie le jeune roi aux plaisirs pratiqués à la cour d’Henri III et va demeurer longtemps le favori en titre. Jacques élève son amant à la dignité de duc de Lennox.

    Mais les comtes protestants reprochent ouvertement au favori « de gouverner le roi par la luxure ». En août 1582, ils parviennent à enlever Jacques VI, à l’emprisonner au château de Rutwen. Le roi, craignant qu’on assassine son amant, cède aux exigences des révoltés : il accepte que Lennox soit exilé en France où il meurt l’année suivante après avoir ordonné que son coeur soit embaumé et envoyé au roi d’Écosse qui n’a que 16 ans !

    Élevé dans la religion calviniste, Jacques VI d’Écosse, après avoir habilement louvoyé Sans états d’âme, avec la promesse de lui succéder, il laisse la reine Élisabeth Ière d’Angleterre emprisonner et décapiter sa mère Marie Stuart, la chef des catholiques.

    Mais le roi doit penser à assurer sa succession : il se marie en 1590 avec la princesse Anne de Danemark. Il aura trois enfants, dont le futur Charles Ier qui, en 1625, épousera Henriette, soeur de Louis XIII, et la princesse Élisabeth qui, en épousant un prince allemand, sera la souche de la Maison de Hanovre. Ayant assuré sa dynastie, le roi se vante alors sans vergogne :

     

    « La reine est la seule femme avec laquelle j’ai couché ! »

     

    En 1603, Jacques VI d’Écosse est récompensé d’avoir pris le parti des protestants. Il recueille l’héritage de la reine Élisabeth Ière, sans enfant, et devient roi d’Angleterre sous le nom de Jacques Ier. Son homosexualité est connue à la Cour, comme l’était le lesbianisme de la défunte reine.

     

    « Nous avions le roi Elisabeth, maintenant, nous avons la reine Jacques ! »

    disent les Londoniens.

     

    Ce couronnement, réunissant la Grande-Bretagne et l’Écosse, est un triomphe, car de surcroît, le calvinisme et l’Église anglicane se réconcilient contre le pape, leur ennemi commun. Mais ce n’est pas l’avis du roi, qui, grâce à l’union des deux royaumes, veut imposer à son peuple une seule et même religion. Erreur de jugement ! Il mécontente les puritains et s’attire la haine des catholiques.

    Bien qu’ils ne représentent qu’un vingtième de la population, les « papistes », comme on dit alors, tentent en 1605 avec la complicité de l’Espagne un coup d’État connu sous le nom de « Conjuration des poudres », qui vise, par une gigantesque explosion, à tuer le roi, tous les lords et les députés des Communes.

    Une trahison fait découvrir le complot. Les catholiques sont désormais soumis à des lois d’exception, leur religion interdite, les prêtres expulsés. Sa postérité et son pouvoir assurés, le roi ne craint plus de s’afficher avec de charmants éphèbes qui jouent, travestis, les rôles de femmes dans les pièces de Shakespeare et de Marlowe. Comme il se permet de les embrasser sur la bouche en public, ses sujets peuvent aisément deviner ce qu’il fait avec eux en privé.

    Mais le roi ne se contente pas de ces amours fugitives, il a besoin d’un compagnon de tous les instants dont il puisse apprécier à la fois la beauté, l’esprit et la conversation. Les favoris en titre se succèdent :

    John Ramsay, James Hay, promu vicomte de Doncaster puis conte de Carlisle,

    Georges Herbert, nommé comte de Montgomery,

    Robert Carr, magnifique garçon qui est fait gentleman de la Chambre et conseiller privé en 1612, comte de Somerset en 1613.

    Devenu le premier personnage de la Cour, le comportement insolent de Carr contribue au déclin de la popularité du roi. Jacques Ier se lasse de cet amant bisexuel et l’emprisonne avec son épouse à la Tour de Londres où le couple mourra en 1622. Voici venue l’heure de Buckingham…

     

    L’archevêque de Cantorbéry, connaissant les goûts du roi, souhaitant que le nouveau favori lui doive sa place fait en sorte que le beau Georges Villiers rencontre le souverain en 1615 lors d’un divertissement donné par les étudiants de Cambridge.

    Georges a 22 ans, mince, très grand, les jambes longues et effilées, il a la taille bien prise, une main délicate aux doigts fins, une bouche sensuelle aux lèvres parfaitement dessinées, un nez droit, des yeux malicieux et caressants. Il respire la santé, la joie de vivre, le désir d’être aimé. Le coeur de Jacques Ier fond comme neige au soleil. Le roi, alors âgé de 48 ans, tombe follement amoureux.

    L’ascension du nouveau favori est fulgurante : vicomte en 1616, comte en 1617, et enfin duc de Buckingham en 1623.

    Le roi a l’habitude de partager le pouvoir avec l’amant en titre. Tous les favoris précédents avaient reçus des responsabilités politiques, quelles que fussent leurs capacités. Buckingham est intelligent, mais il se moque du bien public. Il songe surtout à s’enrichir et à placer sa famille est ses amis en obtenant titres et privilèges. Sa mère le suit dans son ascension : comtesse en 1618, marquise en 1619, duchesse en 1623.

    Le jeune prince de Galles, Charles, est d’abord jaloux des privilèges exorbitants qu’obtient le favori de son père. Mais Buckingham agit avec tant d’habileté qu’il réussit bientôt à circonvenir l’héritier du trône…

     

    Favori du roi Jacques 1er, le duc de Buckingham doit, pour conserver son pouvoir, obtenir les faveurs de l’héritier du trône, le jeune Charles. Il parvient d’abord à le convaincre que pour établir une paix durable, il doit épouser l’infante d’Espagne. Charles et Buckingham se rendent donc ensemble à Madrid. Jacques regrette bientôt d’avoir tenté ce mariage catholique, car l’opinion publique anglaise y est opposée, et pour une autre raison moins avouable. Il écrit à Buckingham :

     

    « Je me repends d’avoir consenti à ton départ. Je me moque de ce mariage. Tout ce qui compte, c’est de t’avoir dans mes bras au plus vite. »

     

    Buckingham répond ces mots étonnants :

    « Nul n’a plus envie que moi d’être en les bras de sa maîtresse. »

     

    En réalité, certain d’avoir gagné l’affection du fils, le favori se lasse de ce roi vieillissant. Il rentre en Angleterre en 1624. Les protestants anglais sont ravis que ce mariage catholique ait échoué, et le peuple en liesse acclame Charles resté célibataire.

    Buckingham jouit désormais des pouvoirs d’un monarque sans en avoir la prudence ni l’étoffe. Au lieu de lutter contre les factions qui déchirent l’Angleterre, il soutient celle qui lui est favorable, il n’agit pas en ministre, mais en chef de bande. Le roi est souvent en désaccord avec son favori, un moment même ils sont brouillés, mais la passion de Jacques est la plus forte, et il cède toujours à George. Dès que le favori s’absente, il lui adresse des lettres enflammées :

     

    « Mon seul, mon doux, mon cher enfant, je te prie de te hâter, rentre vite à la maison pour tenir compagnie à ton cher papa, au plus tard avant le coucher du soleil, afin que je sois heureux avec toi cette nuit. »

    Et encore :

    « Je désire vivre dans ce monde avec toi, pour toi. »

     

    C’est avec une parfaite franchise, et même une certaine naïveté, que le roi justifie devant les lords de son conseil privé, l’extraordinaire faveur de son amant :

    « Moi, je ne suis ni dieu ni ange mais un être humain qui confesse aimer plus que tout ceux qui me sont chers. Ainsi, j’aime Buckingham plus que tout autre. Jésus-Christ ayant fait la même chose, on ne peut me blâmer. Il avait son Jean, moi j’ai mon George. »

     

    Dans sa dernière lettre à Buckingham, il met son coeur à nu :

    « Je ne désire vivre dans ce monde que pour toi, j’aurais choisi de vivre exilé dans n’importe quel lieu, mais avec toi, plutôt que de vivre une triste existence de veuve [widow] sans toi. Que Dieu te bénisse mon enfant, ma femme [my sweet child and wife] et me permette que tu sois toujours un réconfort pour ton cher père et mari [your dear dad and husband]. »

     

    Après avoir été le ministre et le favori du père, Buckingham conserve les mêmes fonctions auprès du fils. Le roi dissipe rapidement les doutes sur leurs rapports, en exigeant, le soir même de son avènement, que le duc couche dans sa propre chambre.

    Mais il faut assurer la descendance. Le mariage espagnol ayant échoué, George pousse Charles Ier à une alliance française. Dans ce but, il va demander à Louis XIII la main de sa soeur Henriette. Séjournant en France pour ramener la promise, il a le coup de foudre pour la reine Anne d’Autriche. Cet amour qu’évoque Alexandre Dumas dans Les Trois Mousquetaires est avéré. Le biographe Tallemant des Réaux rapporte :

    « L’amour de deux rois d’Angleterre ne suffit pas à Boukincan. Il voulut conquérir la reine de France. Dans un jardin d’Amiens, le galant culbuta Anne d’A]utriche, et lui écorcha les cuisses avec ses chausses en broderie. »

    [À cette époque, les Français écrivent les mots étrangers comme ils les prononcent.]

     

    Mais la reine appelle au secours ses suivantes. L’obsédé bisexuel n’ajoutera pas la reine de France à son palmarès, mais il s’attire la haine inexpiable de Louis XIII et de Richelieu.

    Pour l’instant, l’intérêt politique prime et, le 13 juin 1625 à Cantorbéry, Charles Ier épouse Henriette de France. Même après ce mariage, le roi abandonne toute la responsabilité politique à George.

    En dépit de la jalousie de la reine Henriette, Buckingham, véritable souverain d’Angleterre, possède trois palais qu’il enrichit de magnifiques tableaux et chefs-d’oeuvre importés d’Italie. Choisir avec discernement et amasser des trésors pour les siècles futurs, c’est la seule qualité que l’on peut mettre à l’actif de cette autorité usurpée.

    Le duc se montre de plus en plus tyrannique, il épuise la nation par des emprunts forcés, des taxes nouvelles pour la ridicule expédition de Cadix, puis pour l’expédition contre La Rochelle. Cette dernière entreprise a pour prétexte la défense des protestants français, c’est aussi une tentative pour regagner quelque popularité. Mais l’assaut échoue, Richelieu prend en main la défense du port et repousse la flotte anglaise.

    Après sa défaite, et avant sa retraite, Buckingham reçoit, le 6 novembre 1627, une lettre surprenante de Charles, qui a les accents de l’amour et prouve l’intimité des liens qui unissent le roi et son favori. Le souverain emploie le thou à la place du you, exceptionnelle marque de familiarité dans la langue anglaise :

    « Quel que soit ton succès, tu seras toujours le bienvenu à ton retour. Mon pire chagrin est de n’avoir pas pu me trouver à ton côté pendant cette période de souffrance, car tu sais que nous aurions mutuellement adouci notre peine. Je te conjure, pour l’amour de moi, de prendre soin de ta santé, car chaque jour je trouve de nouvelles raisons de te confirmer que je suis ton affectueux et fidèle ami. »

     

    Mais de retour à Londres, le favori devient la cible de l’opposition. Les chansons satiriques courent les rues :

    « Qui gouverne le royaume ? le roi. Qui gouverne le roi ? le duc. Qui gouverne le duc ? le diable. »

     

    En 1628, le Parlement ose demander le renvoi de Buckingham. En réplique, le roi dissout le Parlement. Mais l’opinion publique ne désarme pas, Cromwell commence à compter ses partisans, la guerre civile est proche.

    Le 23 août 1628 à Portsmouth, Buckingham est assassiné par John Fulton, un officier puritain. Charles est inconsolable, il ne prendra pas d’autre favori et se rapprochera de son épouse, qu’il avait jusque-là délaissée. Mariée depuis 1625, la reine attendra le 29 mai 1630 pour donner le jour au futur Charles II. Après la guerre civile, la révolution puritaine triomphe. Charles Ier est jugé, condamné comme tyran et décapité devant son palais de Whitehall, en 1649.