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Royal - Page 7

  • Frédéric II , le grand amoureux

    Le roi de Prusse se moque de l’opinion publique : « Certains font l’amour par devant, d’autres par derrière, qu’importe  a manière, puisqu’ils ne persécutent personne. »

    «Quand Sa Majesté était habillée et bottée, le stoïque donnait quelques moments à la secte d’Épicure : il faisait venir deux ou trois favoris, soit lieutenants de son régiment, soit pages ou jeunes cadets. On prenait le café, celui à qui on jetait le mouchoir restait un demi-quart d’heure en tête à tête.
    Les choses n’allaient pas jusqu’aux dernières extrémités, attendu que le prince, du vivant de son père avait été fort maltraité dans ses amours de passade, et non moins mal guéri. Il ne pouvait jouer le premier rôle, il lui fallait se contenter du second… »

     C’est Voltaire qui parle ainsi de Frédéric II. Le philosophe le connaît bien pour avoir fait partie des intellectuels dont le futur roi de Prusse s’était entouré.

     Les rapports entre Frédéric et son père, Frédéric Guillaume Ier, ont été à ce point conflictuels que dans l’aube glaciale du 6 novembre 1730, Frédéric, 19 ans, voit devant les grilles de son cachot s’élever un échafaud, qui, pense-t-il, lui est destiné. Le roi l’a fait arrêter ainsi que son amant Hans von Katte avant qu’ils ne réussissent à s’enfuir pour l’étranger. Le roi feint d’ignorer l’histoire d’amour et ne veut voir qu’une trahison, persuadé que son fils a comploté pour prendre sa place sur le trône. Il va obliger le jeune prince à être le témoin de l’exécution de son compagnon.

     Frédéric sera toute sa vie hanté par l’image de ce garçon de 20 ans qui est mort pour lui, décapité. Frédéric affecte alors de se soumettre à son père, la réconciliation a lieu après un an d’emprisonnement. Mais le prince doit donner des gages d’obéissance et accepte d’épouser Élisabeth-Christine. Le jour du mariage, on le voit pleurer et il écrit à sa soeur :

    « Entre ma femme et moi il ne peut y avoir ni amour ni amitié. »

     Il exécute prestement son devoir conjugal, car au bout d’une demi-heure on le voit se promener dans le parc.

    En 1740, à la mort du roi, Frédéric monte sur le trône, à l’âge de 28 ans. Il ne verra plus sa femme que deux fois par an, à Berlin, pour les cérémonies officielles. I l s’installe au château de Sans-Souci, près de Potsdam, d’où les femmes sont bannies, et attire à lui une cour exclusivement masculine de philosophes, de poètes, d’historiens et de musiciens. Un gentilhomme français a cette boutade : « À sa table, il n’y a que le roi qui soit un étranger ! » Frédéric est complètement francisé. Il sait à peine quelques mots d’allemand pour s’adresser aux domestiques. Il est fou de littérature française, il correspond souvent avec Voltaire et le supplie de venir auprès de lui. Le philosophe se fait prier et finalement accepte en 1750 de venir s’installer au château de Sans-Souci.

     La liaison de Frédéric et de Voltaire est purement intellectuelle, mais à l’image des relations amoureuses, elle est entrecoupée de lunes de miel, de brouilles, de réconciliations, de faux serments et de ruptures. Voltaire se lassera le premier :

    « Non, malgré vos vertus, non malgré vos appas / Mon âme n’est point satisfaite / Non, vous n’êtes qu’une coquette / Qui subjuguez les coeurs et ne vous donnez pas. » Frédéric répond avec esprit en utilisant les  mêmes rimes : « Mon coeur sent le prix de vos divins appas / Mais ne présumez pas qu’elle soit satisfaite / Traître vous me quittez pour suivre une coquette / Moi je ne vous quitterai pas. »

     L ’idylle se termine très mal. En juin 1753, Voltaire, sans prévenir, quitte Sans-Souci. Le roi le fait arrêter à Francfort en l’accusant d’avoir dérobé un manuscrit de ses poésies pour faire rire à ses dépens les souverains d’Europe. Après trois semaines de prison, Voltaire obtient sa liberté en signant l’engagement de n’emporter « aucune des oeuvres du roi ». Frédéric avait quelque raison d’être inquiet, car ses poèmes étaient particulièrement audacieux, par exemple quand il ose, comme Jacques Ier d’Angleterre, évoquer l’exemple de Jésus-Christ pour justifier son homosexualité :

     « Ce bon saint Jean que pensiez-vous qu’il fît / Pour que Jésus le couchât dans son lit / Savez-vous pas qu’il fut son Ganymède ? »

     Quand la rupture avec le roi est consommée, Voltaire renvoie ses décorations et ses ordres accompagnés d’un dernier quatrain ambigu :

    « Je les reçus avec tendresse / Je vous les rends avec douleur / C’est ainsi qu’un amant, dans son extrême ardeur / Rend le portrait de sa maîtresse. »

     

    Durant toute sa vie, Frédéric aura auprès de lui un compagnon intime pour satisfaire ses besoins sexuels, mais il ne rencontrera plus jamais un amour semblable à celui qui l’unissait à Katte. À propos du soldat Fredersdorf, l’amant du roi, Voltaire écrit :

    « Ce jeune soldat est beau, bien fait, joue de la flûte, sert de divertissement au roi de plus d’une manière. » La faveur de ce simple fils de paysan sera éclatante : le roi le nomme directeur du théâtre royal, puis chancelier du royaume ! Les gazettes de l’époque s’étonnent des bienfaits du roi, mais Frédéric, dans sa correspondance, se moque éperdument de l’opinion publique :

    « Certains font l’amour par-devant, d’autres par-derrière, qu’importe la manière puisqu’ils ne persécutent personne. »

    À la cour de Versailles, les goûts de Frédéric sont connus. Le ministre Choiseul écrit à ce propos : « De la nature et des amours / Peuxtu condamner la tendresse / Toi qui ne connais l’ivresse / Que dans les bras de tes tambours. » Certes le roi aime ses tambours, mais il a fait de son armée la plus puissante d’Europe. Pendant la guerre de Sept Ans, cet extraordinaire guerrier résiste, avec pour seule alliée l’Angleterre, aux assauts des Français, des Autrichiens et des Russes, et bat vingt fois les armées de la coalition. Il prend part au premier partage de la Pologne, en 1786, et à sa mort, il aura doublé la taille de son royaume en conquérant la moitié de l’Allemagne.

     

    Ce général en chef, organisateur d’une armée moderne, a su également être un chef d’État ; il a développé l’agriculture, introduit l’industrie, amélioré les conditions de travail, abolit la censure de la presse et la torture des tribunaux. Il fut véritablement ce « roi-philosophe » qu’admirait tant Voltaire. En dépit de la vieillesse et de la maladie, il conserve toutes ses capacités et meurt à sa table de travail le 17 août 1786, à l’âge de 74 ans. Son corps repose, comme il le souhaitait, sur la terrasse du château de Sans-Souci. Dans les manuels d’histoire, l’homosexualité de Frédéric II le Grand est encore « oubliée ». Pourquoi vouloir ignorer la nature profonde du roi et imposer aux étudiants cette censure ridicule ?

    Michel LARIVIERE, Historien. On vous l'a caché à l'école extrait de Têtu