Thomas Edward LAWRENCE
dit
LAWRENCE d’Arabie
(1888-1935)
« Tout ce à quoi les hommes attachent du prix – l’amour, la camaraderie, l’amitié- devient une impossible hétérosexualité. La femme est une machine vouée à l’exercice musculaire, une machine à satisfaire les appétits physiques de l’homme, mais celui-ci ne peut assouvir ses aspirations que parmi ses semblables, car l’union corporelle est complétée par l’union spirituelle : un impétueux commerce homosexuel qui satisfait ce puissant désir propre à la nature humaine, avec quelque chose en plus que la simple attirance charnelle. D’où ce liens entre hommes à la fois si intenses, si évidents et si simples. »
En 1919, dans sa première édition abrégée des Sept piliers de la Sagesse, Lawrence s’était autocensuré. Cette citation, tirée de la première traduction intégrale du manuscrit dit « d’Oxford » par Eric Chédaille (Phébus Ed. 2009) va convaincre les historiens qui doutaient de l’homosexualité de Lawrence.
Après des études classiques à Oxford, Lawrence participe à des fouilles archéologiques en Syrie et en Mésopotamie. En 1911, il rencontre Dahoun, 15 ans, un athlète bien bâti et d’une grande beauté. Il apprend la lecture et l’écriture à son amant qu’il sculpte nu dans la pierre locale. En échange Dahoun lui enseigne les subtilités de la langue arabe.
« Deux amis tressaillant ensemble sur le sable, membres enlacés en une étreinte suprême, trouvaient là, cachés dans l’obscurité, un coefficient sensuel de la passion qui nous soudait corps et âmes dans un seul et violent effort. »
Durant l’été 1913 Lawrence emmène en Angleterre l’amour de sa vie, ce qui ne manque pas de scandaliser les britanniques. De retour en Egypte, ils vivront ensemble jusqu’en 1917. Mais Dahoun n’accompagnera pas Lawrence dans son expédition vers Akaba, et mourra du typhus, laissant Lawrence inconsolable.
Lorsque la guerre est déclarée, Lawrence, est d’abord affecté au service géographique du Caire pour compléter la carte du Sinaï, puis dans les services secrets. Parlant plusieurs dialectes, s’habillant comme un arabe, il va se rendre très utile. Agent secret, il noue petit à petit des relations avec les tribus arabes qu’il parvient à convaincre de lutter contre le Turcs – alors alliés des allemands.
Il gagne la confiance de l’émir Faycal, l’aide à réorganiser son armée. Le 6 juillet, après une périlleuse traversée du désert, il prend à revers le port stratégique d’Akaba, les canons turcs étant dirigés vers la mer.
En novembre, au cours d’une mission d’espionnage à Deraa, il est fait prisonnier, torturé et violé par l’officier turc et ses hommes : « Cette nuit, dans Deraa, la citadelle de mon intégrité personnelle a été irrévocablement perdue. » Le viol et l’humiliation subie ont été d’autant plus traumatisantes pour son caractère et sa personnalité qu’ils ont mis à jour des pulsions qui étaient cachés dans son for intérieur.
Durant ce viol il découvre le plaisir associé à la douleur, cette aventure va le rendre définitivement masochiste : « Une douleur cruelle, une chaleur délicieuse, probablement sexuelle, se gonflait en moi et me traversait. » Son ingénuité, son romantisme, son idéalisme ont définitivement disparus, remplacés par un fort sentiment de culpabilité. Sa sexualité deviendra alors associée à l’humiliation et à la douleur : « Certains s’enorgueillissent de dégrader le corps en se soumettant à des pratiques promettant souffrance et souillure. » Un jeune écossais nommé John Bruce déclare : « Je le battais et le fouettais sur les fesses, c’était pour lui le seul moye d’avoir du plaisir. »
La vie de Lawrence est un combat perpétuel entre le corps et l’esprit. A cause de l’éducation puritaine reçue de sa mère, il est convaincu que le masochisme est un péché impardonnable, mais paradoxalement il est persuadé que cette douleur souhaitée neutralisait, effaçait le péché, que le plaisir obtenu dans la douleur purifiait l’âme !
Le 1er octobre 1918, le colonel Lawrence, à la tête des troupes de l’émir Faycal entre victorieusement dans Damas, avant l’arrivée des troupes britanniques du général Allenby. Celui que la Presse internationale appelle Le roi d’Arabie sans couronne accompagne l’émir Faycal en Angleterre, puis à la Conférence de la Paix à Versailles. Les désillusions l’attendent. Il avait promis l’indépendance à ses amis arabes, mais il se heurte aux combinaisons politiques. Les alliés se mettent d’accord : un protectorat anglais sur L’Egypte en échange d’un protectorat français sur la Syrie.
Dégoûté, Lawrence démissionne de son grade de colonel et commence à écrire Les Sept Piliers de la Sagesse dédicacé à Sheik Ahmed (autre nom de Dahoun) : « Je t’aimais, c’est pourquoi j’ai levé une marée humaine pour t’offrir la liberté. L’amour, las de cheminer, cherchait à tâtons ton corps, ma brève proie, avant que les mains de la terre ne l’enfouissent. » En ces termes Lawrence dédie Les Sept Piliers de la Sagesse à son amant défunt Cheik Ahmed qu’il appelle Dahoun. C’est par amour pour Dahoun que Lawrence a conquis des royaumes. Il s’en explique dans l’épilogue : « Le plus puissant des motifs qui m’avaient fait agir est un motif personnel que je n’ai pas mentionné dans ce livre, mais qui fut présent à chaque heure. Ce motif- là est mort avant que nous eussions conquis Damas. »
C’est seulement après la mort de Dahoun et le viol subit à Deraa que Lawrence deviendra masochiste. Les déceptions sentimentales se font l’écho des déceptions politiques. Lawrence craint de passer pour un traître aux yeux des arabes, aussi n’hésite-t-il pas à refuser les décorations offertes par le Roi d’Angleterre : « J’ai fait certaines promesses au roi Faycal, ces promesses n’ont pas été tenues, par conséquent il est fort possible que je me trouve obligé de me battre contre les troupes anglaises, auquel cas, il me serait impossible de porter des décorations britanniques. »
En février 1920, Winston Churchill, Ministre des Colonies, l’appelle auprès de lui, comme conseiller pour les affaires arabes. Conscient que le gouvernement anglais ne renonce pas à sa politique de protectorat, Lawrence démissionne de ses fonctions.
Le refus des grandes puissances de créer ce « royaume d’Arabie » que Lawrence avait promis au roi Faycal, le sentiment d’avoir trahi la confiance des arabes ne sont pas les seuls motifs de sa démission. Depuis la découverte de son masochisme, il demeure persuadé qu’une vie décente lui est impossible, il s’engage sous un faux nom, comme simple soldat, dans la Royal Air Force en août 1922. Exclu de la R.A.F. le 12 janvier 1923, Lawrence choisit un autre pseudonyme et s’engage dans le Royal Tank Corps. En novembre 1923, quelques amis influents, parmi lesquels Bernard Shaw, obtiennent du gouvernement une pension pour Lawrence. Celui-ci la refuse et demande à être réintégré dans la R.A.F. Comme la notoriété le poursuit, malgré son anonymat, le gouvernement britannique pose trois conditions :
1 : Qu’il fasse désormais le travail d’un simple soldat et rien d’autre.
2 : Qu’il n’en quitte jamais l’Angleterre.
3 : Qu’il cesse tout rapport avec des personnalités importantes.
Lawrence accepte et reste simple soldat jusqu’en février 1935. Le 13 mai, il roule en moto sur une route étroite. En haut d’une côte, il découvre au dernier moment deux garçons à bicyclette. Pour les éviter, sa moto fait une embardée.
Il meurt cinq jours plus tard sans avoir repris connaissance. Pour certains historiens cet « accident » aurait été provoqué par les services secrets. Réalisé en 1962, le film remarquable de David Lean, avec Peter O’ Toole, Omar Sharif et Alec Guiness est très proche de la réalité historique, mais il occulte bien entendu l’homosexualité du héros.
Michel LARIVIERE "On vous l'a caché à l'école" Extrait de Têtu