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  • Cervantès, homo de la Mancha

     L’auteur de Don Quichotte est accusé du « péché abominable de sodomie » et condamné en 1569 par le roi d’Espagne à avoir la main droite tranchée.

    Miguel de Cervantès a été condamné à avoir, avec infamie publique, la main droite tranchée et à être banni de nos royaumes, pour avoir commis le péché abominable de sodomie. » L’arrêt du 15 septembre 1569, signé par le roi Philippe II, est sans appel. Ce document a été longtemps dissimulé par les autorités espagnoles, mais l’écrivain Fernando Arrabal a réussi à l’exhumer après la mort du général Franco. 

     

    Miguel est le quatrième enfant de Rodrigo de Cervantès, médecin pauvre, et de Leonora de Coltinas. En dépit des difficultés financières de sa famille, le jeune Cervantès fréquente les universités de Salamanque et d’Alcala. Son professeur Juan Lopez de Hoyos éprouve une véritable passion pour celui qu’il appelle « mon disciple bien-aimé ». La liaison avec l’élève durera jusqu’à la mort du maître, en 1583.

    Cervantès, passionné par la lecture, dévore tous les ouvrages qu’il peut trouver. Miguel était né sous le règne de Charles Quint qui, en 1556, abdique en faveur de son fils Philippe. Le roi avait épousé en troisièmes noces Élisabeth de Valois, fille du roi de France Henri II . La reine meurt en 1558, alors que Cervantès acquiert la notoriété avec un poème lyrique composé en son honneur. Mais ce début de célébrité est brutalement interrompu par le fameux décret. Pour échapper à la justice, Cervantès s’engage dans l’armée. Cinq ans plus tard, on le retrouve camérier du cardinal Acquaviva, légat du pape Pie V auprès du roi d’Espagne. Les goûts du jeune cardinal sont connus à Rome, car, lorsqu’il devient papabile, les Romains s’esclaffent : « Si, par malheur Acquaviva est élu, ce n’est pas un pape que nous aurons, mais une papesse. »

    Dans sa correspondance, Roberto de Nola nous renseigne sur la charge que devait assumer Miguel : « Lorsque son maître souhaite se délasser au lit, le camérier doit être à son côté, et veiller à ce que le lit reste… propre. » À l’âge de 22 ans, Cervantès partage donc le lit du cardinal, comme son service l’exige. Mais, en 1570, las des caresses de ce prélat, il prend rang dans les tercios, les régiments d’Italie. a guerre entraînera Cervantès à Naples, Venise, Ancône… Rome l’enthousiasme, mais cette escapade touristique est interrompue. Les troupes du sultan turc Selim attaquent Chypre. Témoin oculaire, Miguel raconte les combats dans L’Amant généreux. Le monde chrétien va s’unir contre les Ottomans. Le 7 octobre 1571, la Sainte Ligue formée par le pape, la République de Venise et Philippe d’Espagne écrase la flotte turque à Lépante. Au cours de son courageux combat, Cervantès perd la main gauche. Ironie du sort : en fuyant sa condamnation pour sodomie, il avait réussi à éviter l’amputation de la main droite, et ses camarades l’appellent désormais « le manchot de Lépante ». Cervantès ne s’en vexe pas, il tire même orgueil de cette mutilation : « Mon état de manchot a été causé par le plus grand combat naval des siècles passés et à venir ! », clame-t-il. Heureusement, il était droitier, sinon il n’aurait pu écrire Don Quichotte.


     
    L ’écrivain passe sa convalescence en Sicile, à Messine, et il repart en 1572 combattre les Turcs, jusqu’à la prise de Tunis, en 1574. L’année suivante, il s’embarque pour l’Espagne avec son frère. Sa galère est prise par les Barbaresques qui capturent les deux Espagnols. Prisonnier, Cervantès est conduit à Alger et devient l’esclave du bey, qui est bisexuel et possède un harem des deux sexes. Don Quichotte décrit d’ailleurs les misères du bagne et de l’esclavage, dans le chapitre « Récit d’un captif ». Pendant ces années de captivité à Alger, il se lie avec des musulmans homosexuels notoires et, à plusieurs reprises dans ses écrits, Cervantès fait référence à la pédérastie qui fleurit dans l’empire ottoman. Miguel tente plusieurs fois de s’échapper, mais il est repris. Hassan Pacha semble très attaché à Cervantès, car il demande pour sa libération une rançon exorbitante de cinq cents écus d’or ! Le bey rêve de l’emmener à Constantinople, mais avec l’aide des pères trinitaires, chargés de libérer les chrétiens captifs, la famille de l’écrivain parvient enfin à rassembler la somme exigée et, le 24 octobre 1580, Miguel s’embarque pour l’Espagne. Peu de temps après son arrivée, il est accusé « d’actes obscènes », sans autre précision. À 37 ans, probablement pour faire taire les rumeurs et éloigner la menace d’un procès, il contracte un mariage d’intérêt en épousant Catalina de Palacios y Vozmediano. L’union est célébrée, mais le marié ne peut disposer de la dot. Sans scrupule, il abandonne rapidement son épouse pour retrouver à Madrid les plus célèbres écrivains de son temps : Góngora, Calderón, Tirso de Molina, qui deviennent ses amis. Seul Lope de Vega lui est hostile.


     

    L ’écrivain acquiert un début de réputation au théâtre avec sa pastorale Galatée, en 1585, mais il doit conserver pour vivre sa charge de commissaire à l’approvisionnement de l’« I nvincible Armada ». La vie conjugale ne durera pas longtemps. En 1589 à Séville, il est arrêté et excommunié, accusé de « crimes abominables », sans autre précision, et emprisonné de nouveau de septembre à décembre 1597, puis de 1602 à 1603. Comment expliquer ces fréquents séjours en prison ? Le « crime abominable » était-il la sodomie, comme cela est précisé dans l’arrêt royal de 1569 ? Après sa libération, Cervantès a terminé la première partie de Don Quichotte, qui est édité en 1605. Le succès est tel qu’il sera réimprimé à six reprises ! À 58 ans, l’écrivain acquiert enfin la gloire. En 1614, il fait paraître Le Voyage au Parnasse, anthologie des principales oeuvres espagnoles contemporaines.

    La seconde partie de Don Quichotte sera publiée en 1616, et connaîtra le même succès que la première. Cervantès est également l’auteur de nombreuses comédies, dont deux Numance (1581) et La Vie à Alger (1784) passeront à la postérité. Dans les Nouvelles exemplaires (1616) comme dans toute son oeuvre, les femmes sont traitées de façon distante, en revanche l’écrivain insiste sur une valeur essentielle à ses yeux : l’amitié entre hommes. Don Quichotte et son valet Sancho Pança s’aiment, même si leur amour n’est pas sexuel. Critique burlesque des exploits de la chevalerie, récit d’une philosophie de l’existence, dialogues pleins d’humour, ce livre est le premier roman moderne. Ces deux types humains, issus de la pittoresque imagination de l’auteur, sont devenus plus réels, plus vivants que des personnages historiques !

    Michel LARIVIERE, Historien. On vous l'a caché à l'école extrait de Têtu