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  • Henri III : Mignons, allons voir…

    « Le roi, comme l’on sait, accole, baise et lèche de ses poupins Mignons le teint frais nuit et jour… » Ronsard

    Au printemps de 1574, le fils d’Henri II et de Catherine de Médicis, qui avait été, deux ans plus tôt, choisi pour roi par les Polonais, s’échappe de Cracovie où ses sujets voulaient le retenir : son frère Charles IX vient de mourir, et Henri III lui succède sur le trône de France. Henri a 23 ans, les traits fins et charmants, il aime les arts, il est intelligent, cultivé et bisexuel. Sacré à Reims le 13 février 1575, Henri épouse Louise de Lorraine-Vaudémont. Après une fausse couche, survenue quelques mois après le mariage, les deux époux ne renouvelleront pas cette tentative d’avoir un héritier. Henri conserve de l’amitié pour Louise, et il a de nombreuses maîtresses.

    Selon Ronsard, le roi est actif et ses Mignons

    « lui prêtent tour à tour, leurs fesses rebondies, et leurs cus, blancs de chair, de tous poils découverts, les cus plus que les cons sont maintenant ouverts ».

     Si le poète attaque si violemment les Mignons, c’est qu’il prétend que le roi délaisse les affaires de l’État pour s’occuper uniquement de ses plaisirs. Le royaume va mal, le trésor est vide, les protestants et les catholiques sont sur le point de s’affronter à nouveau. Henri III , en désavouant le massacre de la Saint-Barthélemy, en rendant aux protestants leurs droits et douze de leurs anciennes places fortes, pense obtenir la paix civile, il ne fait qu’ameuter contre lui les catholiques !

    Comme le roi n’a pas d’enfant, le trône de France doit revenir à son cousin, Henri de Navarre, un prince protestant. Un hérétique roi de France ? Les catholiques n’en veulent pas, ils forment la Ligue, dont le chef, Henri le Balafré, duc de Guise, devient bientôt un rival très dangereux pour Henri III . Durant la journée des Barricades, en 1588, le duc de Guise se rend maître de Paris. L’indécision de Guise permet au roi de ruser, en le nommant lieutenant général du royaume, avant de l’attirer dans un guetapens, et de le faire tuer par ses Mignons.

    Tous les amants du roi sont d’une grande beauté : leurs portraits le prouvent. Ils donnent, par leur élégance et le raffinement de leurs manières, le ton à toutes les cours d’Europe. Ils portent une toque à aigrette, une large fraise autour du cou, des pourpoints en « V » et des maillots très collants qui mettent en valeur leurs larges épaules, leur taille fine, leurs jambes minces, et un mantelet court qui laisse voir les fesses. Ils se maquillent, s’épilent les sourcils et les moustaches pour ne laisser qu’un mince tracé de poils. Ils se poudrent les cheveux et s’aspergent de parfums. Cela choque évidemment l’homme de la rue, mais, attention aux clichés : les Mignons ne sont pas des « folles » efféminées, ils savent mourir à la guerre en combattant aux côtés de leur roi, ou se battre en duel pour se disputer les charmes d’une femme aussi bien que les faveurs d’un homme.

    Maugiron était devenu l’amant de Madame de Guise, ce fut la cause de l’affrontement de rivaux jaloux où périrent quatre des Mignons les plus aimés du roi : Caylus, Schomberg, Ribérac et Maugiron lui-même. Pierre de l’Estoile, dans son Journal, rapporte la grande douleur du roi : Le roi, éperdu de douleur, baisa Maugiron et Quélus morts. Il fit tondre leur tête, emporter et serrer leurs blonds cheveux. » Pour éviter les jalousies et les duels, le roi marie ses Mignons à de grandes familles. Ainsi Henri III nomme Joyeuse duc et lui fait épouser sa propre bellesoeur. En les mariant dans la haute noblesse, le roi a également un but intéressé : se constituer un parti qui soutienne sa politique d’équilibre entre les catholiques et les protestants. Malgré cela, le protestant Agrippa d’Aubigné caricature férocement le goût du roi pour le travestissement.

    Lors d’un banquet, le 15 mai 1577 au château de Plessis-lès-Tours, où les femmes sont habillées en hommes, le roi et ses Mignons, en femmes. Et le 9 juin, au château de Chenonceaux, le roi préside encore un souper en travesti. D’Aubigné raille :

    « Son visage de blanc et de rouge empâté / Son chef tout empourpré, nous montrèrent ridée / En la place d’un roi, une putain fardée. (…) Ainsi bien emmanché, il porta tout le jour / Cet habit monstrueux pareil à son amour : / Tel qu’au premier abord, chacun était en peine / S’il voyait un roi femme ou bien un homme reine. »

     Le roi porte son goût du travestissement jusqu’à monter à cheval en amazone. Ronsard nous laisse penser que ce goût du travestissement a donné naissance à l’habitude de s’adresser aux souverains au féminin : « On ne parle à la cour que de SA Majesté : ELLE va, ELLE vient, ELLE est, ELLE a été… » (C’est Ronsard qui écrit en majuscules.)

    Lorsque le roi est en robe, les Mignons lui disent : « Que Votre Majesté est belle ! », et le roi donne aux éphèbes les titres d’excellence ou d’altesse qui commandent le féminin : « Votre excellence est charmante ! Votre altesse est gentille ! » Henri III alternait les plus extravagants bals et les mortifications spectaculaires. Pierre de l’Estoile raconte ainsi dans son Journal : « Le jeudi 7 avril, sur les neuf heures du soir, à la procession des pénitents, le roi avec ses Mignons alla toute la nuit par les rues et aux églises. Les Mignons se fouettèrent, on voyait leurs pauvres dos tout rouges des coups qu’ils se donnaient. Sur quoi, on fit courir le quatrain suivant :

     “Mignons qui portent doucement / En croupe le sang de la France / Ne battez le dos seulement / Mais le cul qui a fait l’offense. »

    C’était bien dans l’esprit du 16e siècle de châtier le corps après l’avoir fait jouir. Rarement dans l’Histoire, religion et homosexualité ont fait aussi bon ménage ! Quoi qu’il en soit le roi était profondément croyant. Il avait fondé l’ordre du Saint-Esprit, où ses Mignons étaient frères et ses égaux en religion. De la sorte, ceux-ci lui étaient dévoués corps et âme, prêts à exécuter toutes les tâches nécessaires à la sauvegarde du trône, y compris… un assassinat. Les Mignons organisent avec soin l’attentat contre de Guise. Le roi, caché derrière une tenture, voit de Guise percé de multiples coups de poignards : « Me voici roi de France, j’ai tué le roi de Paris… »

    Mais les catholiques se soulèvent contre le roi, qui, fuyant Paris est obligé de se réconcilier avec le protestant Henri de Navarre, qui l’aide à mettre le siège devant la capitale. Henri III a 37 ans lorsqu’il est poignardé par un moine envoyé par les ligueurs pour venger le duc de Guise. Le dernier Valois confie le trône au premier Bourbon. Henri de Navarre se convertit au catholicisme et devient Henri IV .

    L ’histoire a été très sévère pour Henri III . Il a pourtant entrepris la réorganisation administrative du royaume, maintenu l’unité de la France en surmontant la pire des guerres, à la fois civile et religieuse, et conservé la légitimité royale par une transmission régulière du pouvoir à Henri IV .

    Oubliant ses qualités et ne voulant voir dans son homosexualité qu’une « tare », le Larousse ose écrire : « Ce prince plein de vices et de passions mesquines, s’entouraient d’hommes débauchés. » Une autre biographie récente prétend « réhabiliter » Henri III en affirmant que l’homosexualité du roi… n’est qu’une invention des protestants pour le dénigrer ! Messieurs les homophobes, ne censurez plus Ronsard, ni d’Aubigné ni de l’Estoile ! 

    Michel LARIVIERE, Historien. On vous l'a caché à l'école extrait de Têtu