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Ecrivain - Page 9

  • Louis ARAGON

    Louis ARAGON
    (1897-1982)
    La mère de Louis à longtemps fait croire à son fils - fruit de ses amours avec un préfet de police -  qu’il était son petit frère. La découverte de ce mensonge, la honte d’être « un  enfant naturel » forgera son caractère, mais la blessure ne se refermera jamais. C’est la raison pour laquelle il appelait tous les jeunes gens : « fils », et vous enveloppait de sa gentillesse de son affection paternelle. Etudiant en médecine, il rencontre son camarade André Breton, qui, après un passage au groupe Dada, l’emmène chez les surréalistes, parmi lesquels Paul Eluard et Philippe Soupault.
    En 1927, les trois amis quittent les surréalistes pour s’inscrire au Parti Communiste. Une année plus tard Aragon rencontre Elsa Triolet écrivain elle-même, et belle-sœur du poète russe Maïakovki. Elle demeurera toute sa vie l’unique muse, depuis Les Yeux d’Elsa (1942) jusqu’à Fou d’Elsa (1953).
    En 1940 Aragon entre dans la Résistance, écrit sous le manteau et diffuse clandestinement des recueils qui font de lui le grand poète national. La splendeur du style le hisse au dessus des partis et des chapelles : le surréaliste, le communiste devient un écrivain classique. Le poète resplendissant possède à la fois la lumière d’Apollinaire et le lyrisme d’Hugo. La guerre et l’Occupation lui inspirent Le Crève Cœur (1941), son action dans la Résistance nous vaut Le Musée Grévin (1943) qui a des accents de Rostand :
    Paris mon cœur trois ans vainement fusillé (…) Heureuse et forte enfin qui portez pour écharpe /Cet arc en ciel témoin qu’il ne tonnera plus /Liberté dont  frémit le silence des harpes /Ma France d’au delà le déluge, salut !
    Mis en musique et chantés par Georges Brassens, Léo Ferré, Jean Ferrat ses poèmes deviennent populaires. Les écoliers apprennent « Celui qui croyait au ciel,  celui qui n’y croyait pas. » et « Il n’y a pas d’amour heureux. » Son œuvre romanesque est aussi remarquable que sa poésie. On découvre dans ses romans des moments de vérité exceptionnels, par exemple dans Aurélien (1945) : Dans la piscine deux nageurs, un adulte et un jeune se parlent, sympathisent, rient. Mais lorsqu’ils sortent du vestiaire ils ne se reconnaissent plus. Le costume bourgeois de l’adulte marque subitement la fracture sociale avec la salopette du jeune ouvrier. Magnifique raccourci des différences sociales qui avaient disparu lorsque les deux hommes étaient presque nus dans l’eau. Rhabillés, le clivage ressurgit.
    L’œuvre romanesque d’Aragon est remplie de scènes du même genre qui donnent au récit un relief qui saute aux yeux du lecteur. Dans Le Paysan de Paris (1926) qui n’a pourtant ni intrigue ni personnages, la seule force du style interdit de lâcher la lecture. Citons encore Le Roman inachevé (1956) autobiographie en vers, La Semaine Sainte (1958) roman historique sur les Cent Jours de Napoléon. Le romancier génial est dissimulé aux yeux de ses contemporains sous le masque de l’homme politiquement engagé, du journaliste directeur de  Ce Soir et des Lettres françaises. Pourtant après avoir été de thuriféraire de Staline, Aragon a su se déjuger lorsque Kroutchev a dévoilé les crimes du dictateur communiste.
    Le masque est l’un des aspects d’Aragon, entre autres dans sa vie sexuelle. Elsa Triolet était consciente que l’amour que lui portait son mari n’était pas physique, elle écrira à la fin de sa vie : « Le plaisir normal de faire quelque chose ensemble, tu ne le connais pas. »  Elsa lui reproche de ne pas savoir lui donner du plaisir, elle sait que le désir de son époux le porte sur les garçons. Après la mort d’Elsa en 1970, Aragon ne dissimulera plus ses amours masculines. J’ai connu en 1966 le poète Jean Ristat - 23 ans à l’époque -  et Aragon en 1970.
    L’intelligence, le charme et le talent du jeune poète conquit Aragon qui en fit son compagnon, son héritier et exécuteur testamentaire. Dès qu’il est veuf, Aragon, reconnaissable à son grand chapeau aux larges bords, ne craint plus d’aller draguer dans le square Jean XXIII, sous les tours de Notre-Dame, et s’entoure d’une Cour d’éphèbes de plus en plus jeunes. Mais Jean Ristat, le favori « officiel » surveille l’écrivain. Il veut réaliser pour la télévision une interview du grand homme. Celui-ci se fait prier : 
    « Je ne veux pas que l’on voit mon vieux visage ! »  
    Alors Ristat a l’excellente idée  de lui proposer d’être filmé sous un masque.-« D’accord, sous un masque j’accepte ! »  Le documentaire se trouve à l’I.N.A.Tout Aragon est dans cette exigence, il s’avance toujours masqué, dans sa vie comme dans son œuvre. Ristat luttera farouchement, mais en vain, pour que le Parti Communiste consente à reconnaître les goûts du plus célèbre membre de son Comité Central. Même après sa mort, jamais le journal l’Humanité n’évoquera l’homosexualité d’Aragon. Mais les jeunes homosexuels peuvent découvrir avec émotion que le communiste, le résistant, le grand romancier et poète populaire, le pornographe hétéro (Le Con d’Irène, 1927) a aussi écrit pour eux ses amours que l’on cache encore à l’école et même à l’Université :
     J’ai vieilli moi dans les miroirs/ Mais ils ne t’ont point noyé dans leurs eaux noires /Tu demeures le même, jeune homme blond front pur ô corps doré / Mon ami beau comme la mémoire et comme elle sans pli / Ah ! viens que je t’arrache encore à tes habits adverses / Impatiemment nu pour toujours devant moi (…) (Poètes)
    Ah le jet ! /Le voilà tout entier se parfum du plaisir de l’autre / Une forêt d’après la pluie où tout frémit comme une épaule / Et sur mon corps épars le parme / Palpitant de ses violettes de sperme. (…) (Théâtre Roman)