NÉRON
(37-68)
Le mariage entre hommes existait sous Néron. Écoutons l'épigramme du poète Martial: "Le barbu Callistrate épousa le timide Afer, en vertu de la même loi par laquelle une femme prend un mari, un voile nuptial lui couvrait le visage, des torches précédaient le couple, et retentit l'hymne en honneur du dieu de l'hyménée." L'esprit satirique reprend le dessus avec sa conclusion moqueuse: " Cela ne te semble pas suffisant ? Tu n'espères tout de même pas qu'ils vont réussir à faire un enfant ?"
Récit identique dans une des Satires de Juvénal : " J'ai assisté au mariage d’un de mes amis avec un autre homme, nous avons été quelques amis intimes à participer à cette cérémonie."
Le poète latin qui a pour habitude d’attaquer férocement les vices de ses contemporains, se contente d’ironiser !
Mais c'est l'empereur lui-même qui donne l’exemple d'une bisexualité sans entraves.
A la mort de Caligula en l’an 41, Claude devient empereur. Néron, fils de Domitien et d’Agrippine est adopté par Claude, second mari de sa mère. À la mort de Claude, en 54, l’héritier légitime est Britannicus, fils de Claude et de Messaline.
Mais Agrippine parvient, avec l’appui de l’armée, à placer son fils sur le trône. Ce jeune empereur de dix-sept ans, beau et svelte – il ne grossira que plus tard - commence son règne sous les meilleurs auspices et dans l’approbation générale.
Juste, humain, libéral, guidé par son précepteur le philosophe Sénèque, Néron est plein de bonnes intentions et veut entreprendre des réformes révolutionnaires. Quand on lui apporte à signer une condamnation à mort il s’écrie avec compassion : « Plût à Dieu que je n’eusse jamais appris à écrire ! » Était-il sincère ou était-ce de l’hypocrisie ?
En tout cas Néron n’était pas le monstre sanguinaire que décrit Henryk Sienkiewics dans son roman Quo Vadis, devenu un film célèbre avec Peter Ustinov et Robert Taylor. Son désir de supprimer la peine de mort et d’alléger le poids des impôts le rend vite populaire.
Esthète, aimant le luxe, il se fait bâtir la Domus Transitoria, un superbe palais qui utilise les plus récentes techniques d’architecture, et choisit Praxitèle comme décorateur. Il se sent l’âme d’un artiste, compose des vers qu’il chante en public.
Puis soudainement tout bascule ! Agrippine n’accepte pas les réformes préconisées par son fils et envisage de le pas pas les réformes préconisées par son fils et envisage de le remplacer par Britannicus. Alors Néron devient fou. Il voit des ennemis partout, tente d’abord de noyer Agrippine, puis la fait mettre à mort dans son palais.
Britannicus étant mineur, sous la responsabilité de Néron, le prince aurait pu devenir son successeur. Mais comme il meurt le 12 février 55, la veille de sa majorité, on en conclut que Néron est le meurtrier. C'est probable, mais ce n'est pas prouvé.
Après avoir été vertueux, Néron lâche alors la bride à ses inclinations morbides. On trouve dans son caractère et dans son comportement un contraste bizarre : tout en se livrant à des actes de cruauté, il s’abandonne avec passion au chant, à la poésie, à la musique, à tous les arts d’agréments qui adoucissent le cœur !
Certes Néron a commis des crimes, mais ce n’est pas lui qui a ordonné de brûler Rome, comme on l’en accuse. L'historien Tacite précise même que l'empereur cherche tous les moyens possibles pour empêcher l'incendie de s'étendre, et qu'il tend une main secourable aux victimes de cette catastrophe qui n'est peut être qu'accidentelle.
Mais l'opinion publique veut des coupables. Néron diligente une enquête chargée de trouver les incendiaires. On découvre qu’une certaine secte de juifs qu’on appelle chrétiens affirment que le feu est venu du ciel pour punir les crimes de Rome, que cet incendie est l’œuvre de leur dieu et pour cette raison, ils refusent d’aider à l’éteindre ! On en conclut – un peu vite – que ce sont eux qui l’on allumé.
Sans preuves, Néron ordonne la mort des chrétiens. Mais le spectacle d'hommes, de femmes et d'enfants livrés aux lions dans l'arène ne repose sur aucun témoignage historique. Cette image est uniquement l'œuvre d'historiens chrétiens qui ont toujours exalté la mémoire des martyrs persécutés en raison de leur foi, alors que le motif des empereurs romains était le plus souvent politique.
Quant à la vie sexuelle de l’empereur, elle se révèle aussi complexe que la politique romaine… Comme beaucoup de ses contemporains, Néron était bisexuel sans en connaître le concept.
D’abord amant du prince Othon, Néron épouse Octavie, puis la répudie au profit de Poppée. Il tombe ensuite amoureux de l’esclave Sporus, il le fait castrer - parce qu'il ressemble à Poppée - et se marie avec lui en grande cérémonie, en le traitant ouvertement comme une épouse. Ensuite, pour assumer pleinement sa bisexualité, il se travestit en femme pour épouser le viril Doryphore.
Ces pratiques sexuelles nous semblent étranges, mais il faut se garder de les juger avec notre mentalité du XXIe siècle. Ces deux mariages avaient une signification religieuse et symbolique qui nous échappe complètement.
Lorsque Néron entre en conflit avec le Sénat, l'armée ne le soutient plus. Or les empereurs romains ne peuvent conserver le pouvoir sans l'appui de l’armée. Une première conspiration échoue, mais la seconde réussit. Vindex, gouverneur de la Gaule celtique et Galba gouverneur de l'Espagne marchent sur l'Italie. Galba est proclamé empereur par les prétoriens, et reconnu aussitôt par le Sénat.
Déclaré ennemi public, Néron doit fuir. Il choisit de se suicider avec ces derniers mots : « Quel artiste va périr ! » L’amour que lui portait son amant Sporus est bien réel, car ce charmant giton pouvait facilement prendre le parti de l’armée et trahir Néron. C’est à la demande de l’empereur que Sporus aide son maître à mourir. Il l’assiste dans son agonie et demeure auprès de lui jusqu’à son dernier soupir. L’empereur meurt à trente et un ans, dans la quatorzième année de son règne.
Nous ne prétendons pas réhabiliter Néron, mais la plupart des historiens oublient de dire qu’il est très regretté par une partie de la population. Un grand nombre de romains vont longtemps orner son tombeau de fleurs. Il court sur cette mort des bruits contraires, certains pleins d’espoir, parlent même d’une résurrection !
C’en est trop pour les chrétiens qui ne veulent pas de « concurrence », et n’admettent pas une possible comparaison avec le Christ. Peut-être est-ce parce que Néron assumait pleinement sa bisexualité qu’ils ont inventé la légende du tyran sanguinaire qui a brûlé leurs frères et les a livrés aux fauves dans l’arène ?
Tacite, dans ses Annales est parfois en contradiction avec Suétone, et relève plusieurs erreurs dans ses jugements sévères portés sur Néron.
Michel LARIVIERE