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Musicien - Page 3

  • Frédéric Chopin et le beau garçon

    À Tytus, son amour resté en Pologne, le compositeur écrit de Paris : « C’est en vain, je le sais, que je t’aime. Pourtant je voudrais que tu m’aimes toujours davantage. »

    Il est insupportable, quand quelque chose vous pèse, de ne pouvoir se décharger de son fardeau », écrit le compositeur Frédéric Chopin dans une lettre à Tytus Wojciechowski, le 3 octobre 1839.

    « Je raconte au piano ce qu’il m’arrive de te confier. Mon véritable amour est malheureusement impossible à déclarer : je t’aime à la folie, j’aimerais te dorloter et l’être par toi. Reçois mes plus sincères étreintes, car je n’ai que toi. »

    La vérité surgit lentement du puits ! Par quelle frénésie de dissimulation les historiens homophobes cachent-ils depuis toujours les amours masculines de Frédéric ? On prétend que si Chopin est si timide, si réservé à l’égard du sexe féminin, c’est à cause de sa mauvaise santé. Bien au contraire, dans sa jeunesse Chopin est en pleine forme, ce n’est que plus tard qu’il sera atteint de tuberculose.

    Lorsque Frédéric naît, le 1er mars 1810, près de Varsovie, la Pologne est sous domination napoléonienne et son père y est professeur de français. Aux Français, succédera l’occupation russe. Les portraits de famille montrent un Frédéric peu viril, à l’allure aristocratique. Ses études musicales dévoilent une extraordinaire précocité comme pianiste et compositeur.

    Dès sept ans, Frédéric surmonte avec aisance toute la difficulté des morceaux classiques auxquels il ajoute déjà quelques pièces de sa plume. Le directeur du Conservatoire de Varsovie a pressenti le génie du jeune garçon et il dit aux professeurs : « Le jeune Chopin possède sa propre technique, certes trop personnelle et qui s’éloigne des règles traditionnelles, mais aussi trop parfaite pour la modifier. Laissez-le jouer à sa façon. »

    Au lycée de Varsovie, ses amis intimes Tytus Wojciechowski et Jan Matuszynski, un peu plus âgés que lui, sont d’une extrême beauté. Les deux copains raillent Frédéric en l’appelant « mon Chopinet ». Dans les lettres d’adolescent de Chopin, on ne trouve aucune confidence galante, aucune déclaration d’amour à une jeune fille. Il plaît aux demoiselles, mais la réciproque n’est pas vraie. En revanche, dans les correspondances avec ses condisciples, il emploie toujours le même ton exalté.

    À l’âge de 21 ans, il écrit à Jan Matuszinski :

     « Mon âme, mon chéri, mon Jeannot bien-aimé, je te baise cordialement la bouche. Aime-moi, mon bien-aimé, tends tes lèvres à ton ami. Je n’aime que toi, donne-moi ta bouche. » Mais ce n’est pas Jan qui deviendra son grand amour. Il va bientôt lui préférer Tytus.

    Aussi, lorsque Frédéric rencontre Constance, une jeune cantatrice, il va l’aimer comme idole, une inspiratrice qu’il respecte mais ne désire pas (ce qui n’empêche pas des historiens d’inventer « le premier grand amour de Chopin »…). Une preuve ?

    Cette autre lettre d’amour à Tytus à la même époque :

     « Peut-être pour mon malheur; j’ai rencontré Constance Gladkowska. C’est sous son inspiration que j’ai composé l’adagio de mon Concerto en fa mineur, et la petite Valse en si mineur que je t’envoie. (…) Remarque le passage marqué d’une croix, il me serait doux de le jouer uniquement pour toi, mon Tytus bien-aimé. »

    Chopin devient vite célèbre. Il donne à Varsovie deux concerts qui sont des triomphes. Un critique écrit : « L’oeuvre de M. Chopin possède indubitablement la marque du génie. Il ne joue pas comme les autres, chaque note passe des yeux à l’âme, et son âme la transmet à ses doigts ! » Après ce succès, Chopin n’a qu’une envie, retrouver celui qu’il aime. Pour dissimuler son amour pour Tytus, Chopin, soucieux du qu’en dira-t-on, s’affiche avec Mlle de Moriolles. Il écrit sans tarder à Tytus que c’est un alibi :

     « Il faut être prudent et respecter le manteau des sentiments cachés. »

    Tytus souhaite prendre en main l’avenir de son ami, l’obliger à quitter Varsovie pour entreprendre un long voyage en Allemagne et en Autriche, afin de faire connaître son talent. Chopin hésite et répond :

     « Si nous nous en allions ensemble, si nous nous embrassions sur une terre étrangère, peut être alors ne saurais-je plus garder mon secret, peut-être alors oserais-je te dire ce à quoi je pense sans cesse ! » Tytus parvient finalement à convaincre Frédéric. Le couple part pour Dresde, Breslau, Vienne. Tytus, géant blond aux épaules de bûcheron, a certainement été surpris de découvrir que les déclarations enflammées de Frédéric cachaient un véritable amour.

    Mais ce parfait amour va être troublé par la révolution française de 1830. Après trois journées d’émeutes à Paris, le roi Charles X est renversé. L’agitation révolutionnaire gagne la Pologne. Le grand duc Constantin, qui gouverne au nom du Tsar, s’inquiète de la contagion insurrectionnelle, il multiplie les arrestations d’opposants. Varsovie se soulève.

    Le couple Tytus-Frédéric est à Vienne lorsque éclate la révolution polonaise, qui inspire à Chopin de nombreux morceaux, dont la célèbre Étude no 12 en ut mineur « Révolutionnaire », et il écrit à Tytus :

    « Je confie à mon piano ce que je voudrais confier à toi seul. Je t’aime. »

    Le compositeur sait qu’il ne pourra jamais revoir sa patrie, car il est considéré comme un exilé politique. Après beaucoup de difficultés, il obtient un passeport pour Paris. Il reste en contact épistolaire fréquent avec Tytus : « Sois persuadé que je ferai tous les sacrifices qu’il faudra afin que l’opinion, si tyrannique chez nous, n’arrive jamais à découvrir chez moi ce qui fait mon malheur. C’est en vain, je le sais, que je t’aime… »

    Il est donc indéniable que c’est Tytus, l’amour de sa vie, qui inspire sa musique. Mais Tytus ne reverra jamais Frédéric, il se mariera, aura deux enfants dont l’un s’appellera… Frédéric. Quelle a pu être la vie sentimentale de Chopin pendant les dix-huit ans qu’il lui reste à vivre ? Dans aucune correspondance il ne mentionne une quelconque liaison. Un biographe, ne supportant pas l’idée de l’homosexualité de Chopin, a inventé un soidisant amour pour la comtesse Potocka sur la base de lettres qui sont des faux grossiers.

    Chopin, arrivé à Paris le 11 septembre 1831, vit quelques mois difficiles avec l’argent que lui a donné son père, mais il renoue vite avec le succès. Il tourne la tête à toutes les femmes, on le gratifie d’une réputation de séducteur, mais en réalité il reste insensible à toutes ces dames enamourées, sinon il n’écrirait pas à Tytus :

    « Comme je voudrais que tu sois ici. Je te prends la main et je pleure. Nous reverrons-nous ? Car, à vrai dire, ma santé est misérable. » 

     Chopin commence à souffrir de cette affection pulmonaire qui lui sera fatale, mais, courageusement, il poursuit ses concerts.

    Il rencontre Custine, homosexuel notoire. Le marquis fait une cour effrénée à Frédéric, qu’il invite à s’installer dans sa magnifique propriété à côté d’Enghien. Un peu plus tard, quand sa santé exigera un repos complet, Chopin acceptera son hospitalité quelque temps, mais repoussera ses avances. Jaloux et dépité, Custine écrira : « M. Chopin est tombé entre les bras de Mme Sand, cette vampire amoureuse ! » (a suivre  : Chopin et George Sand.)

    Michel LARIVIERE, Historien. On vous l'a caché à l'école extrait de Têtu