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Musicien - Page 2

  • Frédéric Chopin et « maman » George Sand

    En mai 1847, George Sand confie à son ami Grzymala : « Il y a sept ans que je vis avec Chopette comme avec une vierge. »

    Née en 1804, George Sand est, à l’âge de 18 ans, mariée contre son gré au baron Dudevant, qui lui donne un fils et une fille. Elle divorce en 1831, quitte Nohant, la propriété familiale avec ses deux enfants pour s’installer à Paris. Elle est la maîtresse de Jules Sandeau puis de Musset, mais les historiens « oublient » de dire qu’elle assume également son goût pour les femmes. Vêtue d’habits masculins, fumant la pipe et le cigare, elle affiche son lesbianisme. Grande audace, pour l’époque ! La première rencontre entre Frédéric et George est rapportée par Frédéric Hiller :

     « Quelle est antipathique, cette Sand. Est-ce bien une femme ? J’arrive à en douter », dit Chopin à son ami. Sand a également une mauvaise impression :

    « Ce M. Chopin, est-ce une jeune fille ? » Deux réflexions expliquant les futurs rapports qui seront totalement inversés par un échange de leurs natures. Sand joue le rôle du mâle protecteur, Chopin celui de la femme protégée.

    Le 13 décembre 1836, chez lui, le compositeur reçoit et joue à quatre mains avec Franz Liszt, qui raconte : « George Sand paraît subjuguée. En partant, elle invite Chopin à Nohant. » Frédéric refuse poliment, mais Sand revient à la charge : « Pour vous, je dépose à vos pieds mon cigare et mon coeur. » Pour le recevoir, elle va même accepter de sacrifier ses habitudes, renonce à s’habiller en homme et abandonne le pantalon pour une robe. Le grand amour dont parlent les historiens ? Une légende, que la correspondance de Sand confirme :

    « L’ange au beau visage, semblable à une grande femme triste, ne peut franchir le pas entre une profonde amitié et un acte charnel avec une femme. »

     Sand a littéralement été obligée de violer Chopin. Le premier rapport physique, il ne l’a pas souhaité, il n’est absolument pas attiré par Sand, mais il n’a pas la force de résister : « J’ai été obligé de faire mon devoir ! » Le malheureux poitrinaire va tomber dans le piège de cette mante religieuse.

    Car Chopin est désormais souffrant presque en permanence. Et Sand va jouer les garde-malade, plus que les amantes. Elle avoue à des amis :

     « Oh ! la répugnance de Chopette pour le corps féminin ! J’avais l’impression de coucher avec un cadavre ! »

     Une autre preuve, s’il en était besoin, que les rapports physiques avec Chopin ont cessé rapidement, cette lettre écrite à son ami Grzymala, le 18 mai 1847 :

     « Il y a sept ans que je vis comme une vierge avec Chopette. »

     Dans ses correspondances avec son ami Tytus, comme avec ses parents, Frédéric n’évoquera jamais une quelconque union physique avec George, il parle de « Madame Sand, mon hôtesse, pour qui j’ai une grande amitié ». De toute façon, il est malade et son affection pulmonaire supprime tout désir sexuel. Mais Fréderic n’a pas de famille en France, et il a la chance de trouver là un foyer où il s’intègre totalement.

    À Nohant, George le soigne lorsqu’il crache le sang, et le reste du temps elle écrit ses romans. Frédéric, lorsque sa maladie lui en laisse le répit, compose, joue et s’occupe de Solange et Maurice, les enfants de George, leur donne des leçons de piano et de théâtre. Aussi, lorsqu’il regagne Paris, Chopin décide de vivre avec sa nouvelle famille. Pour améliorer la santé du poitrinaire, Sand recherche un climat chaud et décide de passer l’hiver 1838-1839 aux Baléares. Elle écrit : « Chopin est un ange, il a fait à Majorque, étant malade à en mourir, de la musique qui sentait le paradis… » C’est à ce moment que Chopin compose ses magnifiques Préludes. Hélas, ce voyage « de santé » va se transformer en cauchemar.

    La maladie de Chopin commence à s’ébruiter. On le dit tuberculeux, et la peur de la contagion se répand bientôt. Chassés comme des pestiférés, George et Frédéric auront toutes les peines du monde à regagner la France, à bord d’un navire de guerre français, dont le médecin parvient à stopper l’hémorragie de Chopin. Frédéric, conscient de n’être plus qu’une charge pour George, lui écrit : « Maintenant, je suis semblable à un champignon qui t’empoisonne quand tu le déterres et que tu le goûtes. » Toutefois, sa santé va s’améliorer suffisamment pour qu’il soit en état de donner un concert à la cour, et il en donnera d’autres jusqu’en 1841.

    La vie commune avec Sand en revanche bat de l’aile. George prend ombrage des bonnes relations de Chopin avec sa fille. C’est la raison apparente de leur rupture. En fait, c’est plutôt un prétexte. Elle s’est lassée de jouer la soeur, la mère, la garde-malade. Chopin en convient lorsqu’il écrit : « Sept années, c’était trop ! » Le 11 novembre 1846, il quitte définitivement Nohant, saluant de manière distante cette femme qui l’a maternée.

    À l’été 1847, Frédéric est bien seul à Paris. Privé de son séjour à Nohant, il ne compose plus, sa santé se détériore, il a des accès de fièvre et tousse beaucoup. Le 16 février, durant un concert à Paris, il a une syncope. Avec courage il réussit cependant à terminer brillamment. La vie de Chopin est également toujours en butte aux troubles politiques. La Révolution de 1848 le privera à la fois de ses appuis à la Cour de Louis-Philippe et de ses élèves fortunés. Le 20 avril, il embarque donc pour Londres, puis l’Écosse, où il donne quelques concerts publics et privés. Mais lorsqu’il il rentre à Paris, en novembre, cette équipée britannique a sérieusement aggravé son état de santé.

    En octobre 1849, Chopin reçoit la dernière lettre de Tytus, son amour de toujours, qui souhaite le revoir. Le Polonais a réussi à venir jusqu’en Belgique, mais n’obtient pas de passeport pour entrer en France, en raison des troubles qui agitent le pays. Frédéric fait intervenir un ami bien placé pour hâter les formalités, et répond à Tytus : « Mes médecins m’interdisent de quitter Paris. (…) Sinon, je t’aurais rencontré quelque part en Belgique. J’aurais tellement aimé que nous passions ensemble un moment de bonheur complet. Je n'ai jamais été aimé comme je l'aurais voulu. » Mais les deux amis ne se reverront pas.

    Chopin, mourant, est porté place Vendôme, chez son ami Albrecht. Ironie du sort, c’est l’emplacement de l’ancienne ambassade de Russie ! Durant les derniers jours, le tout-Paris défile. George Sand se sent obligée à une visite d’adieux. L’abbé Jelowicki arrache une confession au compositeur, qui consent à recevoir l’extrême-onction.

    Chopin meurt sans un centime, ses amis payent les obsèques qui ont lieu au cimetière du père Lachaise. Sur sa tombe, on jette une poignée de terre polonaise, qu’il avait emportée et conservée. Théophile Gautier prononce l’oraison funèbre : « Repose en paix, noble artiste, l’âme de la musique a passé sur le monde, l’immortalité commence pour toi ! » Par ses compositions où gémit l’âme de sa patrie oppressée, Chopin a fait davantage pour la Pologne que ses camarades qui ont lutté les armes à la main contre l’occupation russe. Jean-Baptiste Clesinger, l’époux de Solange Sand, exécute un moulage du visage de Chopin, qui porte les signes de la torture d’un supplicié, de l’exilé qui n’a jamais retrouvé son paradis perdu. Masque mortuaire ? Non : tombé le masque !

    Michel LARIVIERE, Historien. On vous l'a caché à l'école extrait de Têtu