« Un jour l’amour dit à sa mère : / Pourquoi ne suis-je pas vêtu ? / Si Baptiste me voit tout nu / C’en est fait de mon derrière. » Chanson populaire.
«Si vous trouvez un italien joli, ramenez-le-moi pour que je puisse parler avec lui et apprendre la langue italienne. » Telle est la prière que la duchesse de Montpensier, cousine de Louis 14, que l’on appelait la Grande Mademoiselle, faisait à son oncle le chevalier de Guise, en ce début de l’année 1646.
Le chevalier, de passage à Florence, choisit Giovanni Battista Lulli, le fils d’un meunier qu’on lui présente comme valet de chambre. À 14 ans, Lulli n’est pas très joli garçon, plutôt petit et malingre, le nez fort, de grosses lèvres, mais il est très gai, vif, et spirituel. Très jeune, Lulli avait appris à jouer de la guitare, Mademoiselle encourage ses talents de musicien en lui faisant apprendre le violon et la composition.
À 18 ans, il compose déjà des airs pour la Cour, et, son violon sous le bras, part à la conquête de Paris. Le 23 février 1653, Louis 14 y fête sa victoire sur la Fronde, par la création d’un ballet, dont la musique est signée d’un certain Gian-Battista Lulli. Remarqué par le souverain, le compositeur se voit nommer quinze jours plus tard à la tête de la Musique du Roi.
Le roi Soleil avait une remarquable intuition pour découvrir des artistes de talent, en outre Lulli l’amuse. Le roi n’a que 15 ans, Lulli 21. Il existe entre les deux jeunes gens, une complicité artistique. Le roi aime danser et il veut Lulli à ses côtés, car l’Italien, improvisateur habile, sait mettre en valeur son royal partenaire. Le musicien est maintenant assuré de la faveur du roi, qui le nomme en 1661 surintendant de la Musique et lui donne la nationalité française. Lulli avait déjà corrigé l’orthographe de son nom et signait désormais Jean-Baptiste Lully.
Lully apprécie le charme des jeunes castrats, titulaires des rôles féminins dans ses opéras. Cela permet à Charles de Brosses, magistrat et historien, de noter dans son Journal :
« Habillés en filles, avec des hanches, de la croupe, de la gorge, le cou rond et potelé, on prendrait les castrats pour de véritables filles… on prétend même que Baptiste s’y trompe ! »
Cette allusion ne fait que traduire une opinion courante, et les chansons qui courent les rues sont beaucoup plus méchantes. Lully avait pour amis d’Assoucy et des Barreaux, connus dans les milieux intellectuels pour leur homosexualité et qui faisaient partie des « poètes libertins ». Il fréquentait aussi, le plus discrètement possible, les homosexuels de la Cour ,qui comptaient dans leurs rangs Monsieur le frère du roi, Philippe d’Orléans, Louis et Philippe de Vendôme, les demi-frères de Louis 13, et bien d’autres…
À la fin de 1662, la rumeur court qu’un certain Chausson offre des « fêtes romaines », c’est à dire des orgies avec de jeunes garçons, à ses amis, dont Lully. Le clan des dévots réclame au roi un châtiment exemplaire. Louis 14 déteste les homosexuels, mais il est embarrassé par son frère, qui affiche ses nombreux amants, au vu de sa femme, la princesse Palatine, et au su de toute la Cour. Pressé par les dévots, le roi veut faire un exemple. La police effectue un flagrant délit. Chausson est surpris au lit avec un jeune noble, page du prince de Conti. Le page est emprisonné et fouetté, Chausson est brûlé en place de Grève, à l’âge de 20 ans ! Une chanson court Paris :
« Je suis ce pauvre garçon / Nommé Chausson / Si l’on m’a rôti / À la fleur de mon âge / C’est pour l’amour d’un page / Du prince de Conti. »
Lully juge prudent de faire taire les rumeurs qui courent sur son compte. Après tout il n’est qu’un roturier, pas assuré de la protection du roi, comme les grands seigneurs qui eux sont intouchables. Il se décide à donner le change, et le 24 juillet 1662, épouse Madeleine Lambert, fille du maître de la Musique de Chambre. La femme de Lully est très amoureuse, et, au début de leur mariage elle se montre fort jalouse des amours masculines de son mari. Lully lui fait trois garçons et trois filles… alors seulement, elle se résigne. Ensuite peu assidu auprès de sa femme, Lully s’affiche avec une fausse maîtresse : la claveciniste Mademoiselle Certain.
La mère de cette jeune fille était une véritable maquerelle qui exigeait sans cesse des sommes d’argent en échange de son silence. Après une dispute, elle écrit au roi pour dénoncer Lully. Elle affirme avoir vu le compositeur au lit avec un jeune page nommé Brunet qui loge chez lui et auquel il témoigne « une grande affection », sans se cacher de sa femme et de ses enfants. Le roi envoie sa police chez Lully. Un instant le compositeur se croit perdu, mais les deux sergents ont seulement l’ordre d’emprisonner le jeune Brunet. Craignant la torture, le jeune garçon avoue tout : il raconte les « orgies romaines », nomme les grands seigneurs qu’il y a rencontrés, dont le propre fils du lieutenant de Police, M. de Seignelay. C’est ce qui sauve Lully.
Le scandale est trop grand, il éclabousserait trop de monde à la Cour, Le roi décide d’étouffer l’affaire, mais, en privé il admoneste Lully, avant de lui promettre d’oublier. En effet la faveur du roi ne va pas cesser de grandir. Jusqu’en 1671, il écrit la musique, règles les danses des comédiens dans les comédies-ballets de Molière. Il collabore à Psyché, spectacle fabuleux à la mise en scène fastueuse, qui marque la fin du travail em commun avec Molière et leur brouille définitive. Pour sa dernière comédie-ballet Le Malade Imaginaire Molière fera appel à Marc-Antoine Charpentier, qui, coïncidence, est homosexuel, comme son rival Lully !
En 1672, Lully se voit accorder le privilège de « tout théâtre mis en musique », devient le véritable dictateur de l’opéra en France : il est interdit de chanter une oeuvre musicale sans sa permission écrite, et tout théâtre utilisant plus de deux musiciens doit lui payer une redevance ! Privilège qui paraît exorbitant, mais qui, dans l’esprit du roi devait développer la qualité de la musique française. Lully, en rejetant les fioritures de l’opéra italien, a véritablement créé l’opéra classique français. Il enrichit l’orchestre innove au point que son oeuvre – considérable – paraît quelquefois révolutionnaire. Mais Louis 14 a l’intelligence de le soutenir, parfois même contre le goût du public conservateur. À cette époque les chefs d’orchestre ne dirigeaient pas avec une baguette, mais ils battaient la mesure en frappant le sol avec une lourde canne.
Le 8 janvier 1687, Lully dirige un Te deum composé spécialement pour la guérison de Louis 14. Il frappe par inadvertance son gros orteil. La blessure s’envenime, la gangrène gagne toute la jambe, et Lully meurt le 22 mars. Quelques années avant sa mort, il commençait à souffrir de surdité. L’esprit populaire est sévère lorsqu’il s’exprime en chanson : ce fut le cas à la mort de Jean-Baptiste Lully. Ce quatrain montre bien que l’opinion publique savait être féroce pour les homosexuels, même s’ils avaient du génie :
« Il sera sourd à la trompette / Lully, au jour du jugement / Il faudra qu’un bel ange pète / Pour le tirer du monument. »
Michel LARIVIERE, Historien. On vous l'a caché à l'école extrait de Têtu