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  • Jules Verne, île mystérieuse

    « J’éprouve un vif plaisir à vous embrasser, mon cher Hetzel. Voilà longtemps que nous n’avons frotté nos épidermes l’un contre l’autre, et ça me démange… » Jules Verne, à son éditeur

    «J’avais emporté votre cravate, cher ami, c’est presque aussi drôle que si j’avais emporté votre caleçon… » « J’éprouve un vif plaisir à vous embrasser, mon cher Hetzel, voilà longtemps que nous n’avons frotté nos épidermes l’un contre l’autre, et ça me démange… » Ce sont hélas les deux seules lettres manuscrites qui subsistent. Est-ce Verne lui-même qui a détruit toute sa correspondance, ou son fils Michel, soucieux de l’« honorabilité » de son célèbre père ?

    À l’âge de 11 ans, Jules rêve déjà de voyages. Clandestinement, en 1839, il s’embarque à Nantes sur un trois-mâts en partance pour les Indes. Mais un matelot le reconnaît et informe Pierre Verne qui réussit à rattraper son fils à la première escale. Jules, sévèrement corrigé, fera désormais ses voyages en imagination.

    En 1848, Jules se rend à Paris pour y faire son droit. Au restaurant Chez Vachette, rue du Faubourg-Montmartre, il fait partie du club des Onze sans femmes. Que signifie cette réunion de misogynes qui jurent de ne jamais se marier, composent des poésies à double entente, avec une nette connotation homosexuelle comme ce manuscrit, trouvé à L’Enfer de la Bibliothèque nationale et attribué à Verne ?

    « L’matin d’un mal de gorge /

    Ami tu te plaignais /

    J’avais un sucre d’orge /

    Sans tarder tu suçais. »

    Jules ne s’intéresse guère au droit, il préfère écrire des opérettes. Il a la chance de rencontrer Alexandre Dumas, propriétaire du Théâtre Historique, qui accepte de donner sa chance au jeune auteur. Mais le succès n’est pas au rendez-vous. Jules se console en dévorant à la B.N. tous les ouvrages scientifiques qui le passionnent.

    Il rencontre l’explorateur Jacques Arago, et de nombreux voyageurs, savants et géographes qui déterminent sa véritable vocation. Perfectionniste, il étudie la géographie, la physique, les mathématiques, pour acquérir le vocabulaire nécessaire à l’écriture de romans scientifiques. Il a trouvé sa voie.

    Mais, trahissant ses amis du club des Onze sans femmes, une lettre à sa mère prouve qu’il décide de se marier uniquement par convention sociale : « C’est le moment de me marier, ma chère mère. Munis-toi de tout ce qu’il faut pour me présenter comme un garçon très conjugal, en un mot, fait l’article “fils à marier”, et place-moi entre les mains d’une jeune fille bien élevée, et bien riche. » Madame Verne choisit donc la bru idéale à ses yeux et, le 10 janvier 1857, Jules épouse Honorine Deviane, une riche veuve, mère de deux enfants. Valentine, 6 ans, et Suzanne, 4 ans, qui vont s’installer chez leur beau-père.

    Pour fuir le tapage de ces petites filles et l’humeur détestable d’Honorine, Jules s’installe dans un autre appartement, où il peut s’isoler. En 1861, Honorine est enceinte, l’accouchement est prévu pour août. Jules promet de revenir à temps mais part pour la Scandinavie avec son ami Aristide Hignard, le compositeur de ses opérettes. Il rentrera à Paris le 8 août, le lendemain de la naissance de son fils Michel.

    Honorine ignore l’objet de l’infidélité de son mari mais se plaint à ses amis : « Quand le ménage l’ennuie, Jules prend son bateau et le voilà parti. Le plus souvent je ne sais où il est ni avec qui... Mon mari me glisse entre les doigts. »

    En 1862, Verne apporte à Hetzel Voyage en l’air. L’éditeur est enthousiasmé, trouve un nouveau titre – Cinq semaines en ballon – au roman qui paraîtra en 1863. Extraordinaire succès ! Le 1er janvier 1864, Hetzel signe avec Verne un contrat d’exclusivité pour vingt ans !

    Jules s’exclame : « Mes amis, je me marie, j’ai rencontré le plus riche des partis : M. Hetzel ! » Simple plaisanterie ou cette boutade cache-t-elle une plus grande intimité ? Verne peut désormais abandonner sa charge d’agent de change et se consacrer à l’écriture.

    Il fréquente les salons les plus huppés, et côtoie George Sand, qui, fervente lectrice de ses romans, lui suggère un sujet : « J’espère que vous nous conduirez bientôt dans les profondeurs de la mer. » Verne va la satisfaire en écrivant Vingt mille lieues sous les mers, et les succès vont s’enchaîner pendant quarante ans pour cet inventeur du roman scientifique. Son oeuvre est traduite dans toutes les langues.

    Il devient millionnaire, s’achète un yacht, le Saint-Michel, ancré en baie de Somme, tout près d’Amiens où il s’est installé avec sa famille en 1870. Il part en croisière avec son neveu Gaston, en admiration devant son oncle, qui lui témoigne peut-être un peu plus que de l’affection. Ce lien avec Gaston console Verne des excentricités de son fils Michel, qui, à 16 ans, traîne dans les milieux sordides et accumule les dettes. Verne est contraint de faire condamner et d’exiler son fils. Pour le « remplacer », Jules ne se contente pas de l’affection de Gaston.

    En 1878, il s’attache à un autre garçon de 16 ans : Aristide Briand, le futur homme politique, qu’il va chercher au lycée et ramène chez lui pour discuter. Les liens étroits qui se nouent entre l’écrivain âgé de 50 ans et le jeune lycéen sont-ils de simple amitié ? L’entourage de Jules affecte de le penser, mais, dans son oeuvre, l’auteur se trahit : « Je ne suis pas à l’aise avec les personnages féminins, le seul mot “amour” pour une femme m’effraie à écrire, je me tortille pour arriver à rien. »

    Jamais une intrigue homosexuelle n’est décrite, mais les protagonistes sont le plus souvent un homme âgé qui porte son affection à un jeune garçon beau, dévoué et fidèle. Cette intrigue calquée sur le modèle du couple amant-aimé de l’Antiquité grecque se retrouve dans Les Enfants du capitaine Grant et Les Naufragés du Jonathan.

    Dans cette apologie de « l’amour pur », l’auteur s’enflamme et se trahit : « Le jeune Halg avec sa beauté resplendissante était le seul capable d’émouvoir cet homme qui ne connaissait pas d’autre amour, hors celui qu’il éprouvait pour un enfant… » Verne révèle, malgré lui, ses goûts secrets qu’il a toujours dissimulés.

    Il faut un attentat pour que le voile se soulève. Le 9 mai 1880, Verne entre dans son bureau. Derrière les rideaux, un garçon caché tire sur lui deux coups de revolver. L’écrivain est blessé au tibia. Le garçon est arrêté. Surprise : il s’agit du propre neveu de l’auteur. A-t-il agi parce que Verne a tenté d’avoir avec lui des relations sexuelles ou par jalousie d’avoir été délaissé au profit d’un autre favori ? Le scandale est grand, mais par solidarité bourgeoise avec le notable, l’affaire est étouffée. On déclare Gaston fou et on l’enferme. L’auteur, âgé de 58 ans, désormais infirme, refusera toujours de parler de ce drame. Il vivra en ermite, jusqu’à sa mort en 1905, et se « défoulera » en imaginant des personnages de jeunes et jolis garçons tendres, dévoués et complaisants…

    L’influence de Jules Verne sera immense. Son oeuvre a toujours été considérée par les éducateurs comme une lecture qui exalte le goût de l’aventure. Les enseignants n’ont peut-être pas compris que l’auteur y confessait les secrets de sa vie privée. Voilà un curieux paradoxe : la « bonne lecture », considérée comme un modèle d’éducation bourgeoise, contient en réalité un message homosexuel !