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  • Pierre 1er, le bi-tsar

    « Le tsar a des accès de fureur amoureuse pour les deux sexes », écrit le Français Villebois

    Né le 30 mai 1672, Pierre Ier est le fils du second mariage d’Alexis Ier Romanov et de Natalia Narychinka. Lorsque son père meurt, Pierre a 4 ans.

    À la mort de son frère Fédor, en 1682, il devient tsar à l’âge de 10 ans au préjudice de son demi-frère Ivan, simple d’esprit, et Natalia assure la régence. Mais plusieurs régiments des Strelitz, ces militaires qui gardent les frontières du Nord, prennent le parti d’Ivan et confie le pouvoir à sa demi-soeur Sophia.

    Un aventurier suisse François Lefort, né en 1656, capitaine dans l’armée russe, revient à Moscou au moment où s’affrontent pour le pouvoir la princesse Sophia et ses deux frères, Ivan et Pierre. Il prend le parti de Pierre, devient son favori et son amant.

    En 1689, Sophia tente de faire assassiner Pierre, elle échoue et est envoyée au couvent. En 1689, Pierre épouse Eudoxie Lopoukhina et le 19 février 1690 naît le tsarévitch Alexis. Ce mariage ne change rien aux habitudes du tsar qui ne quitte plus son favori : ils prennent tous leurs repas ensemble, et participent aux mêmes beuveries. Lefort aime sincèrement Pierre, au point de lui céder sa maîtresse Anna Mons, une très belle Allemande.

    Le tsar et Lefort partagent le lit d’Anna, ensemble ou successivement. La faveur de Lefort va croissant. Il est nommé général et constitue le 1er régiment, noyau de l’armée qui attaquera la Suède, à laquelle seront arrachées, en 1721, Estonie, Lituanie et Lettonie.

    Pierre a deux autres passions : les technologies de l’Ouest et la navigation. Il veut doter la Russie d’une flotte. Dès l’âge de 15 ans, sous un nom d’emprunt, il s’est fait engager comme simple ouvrier sur un chantier naval pour apprendre la technique de construction. Géant de 2 m, d’une force extraordinaire, il travaille de ses mains sur le chantier qu’il a créé.

    Aux côtés de Lefort, le jeune Alexandre Menchikov, fils d’un soldat, d’abord garçon d’écurie, puis pâtissier à Moscou, devenu le domestique de Lefort, est remarqué par le tsar. Alexandre est nommé denchtchik, c’est-à-dire ordonnance, au service de Pierre jour et nuit, couchant à côté de son lit. Car le tsar déteste dormir seul, et il exige qu’un garçon lui serve… d’oreiller. Grâce à son charme et à sa beauté, Alexandre va supplanter Lefort et devenir le favori et l’amant du tsar.

    Le 4 février 1694, la tsarine Nathalie meurt. Pierre a 22 ans, Lefort le console, et ils repartent tous deux, toujours en compagnie de Menchikov, sur le chantier naval d’Arkhangelsk. De retour à Moscou en 1694, le tsar découvre le complot des Strelitz. La répression est sanglante : 40 000 exécutions ! Assuré de son pouvoir, Pierre veut maintenant découvrir l’Europe occidentale, pour chercher des alliés et acquérir les techniques modernes. C’est la première fois qu’un tsar quitte la Russie.

    En mars 1697, en compagnie de Lefort et de Menchikov, il entreprend une grande ambassade de dix-sept mois en Suède, Courlande, Hollande et Angleterre, dont le roi Guillaume III, qui a pour amant son page Bentinck, comprend fort bien la présence constante de Menchikov auprès du tsar. Entre souverains bisexuels, on s’apprécie ! La grande ambassade se termine en 1698. Le tsar rentre à Moscou, juste à temps pour mater une nouvelle révolte des Strelitz. Pierre, selon son habitude, la réprime avec férocité.

    L’opposition matée, le tsar se rend incognito à Vienne, Lefort l’accompagne et lui sert d’interprète. Ce sera le dernier voyage du favori qui, en mars 1699, meurt à l’âge de 43 ans, décès prématuré dû à ses excès de boisson. « Mon ami n’est plus, s’écrie Pierre. Il était le seul à m’être fidèle. Sur qui puis-je compter maintenant ? » Rentré en hâte à Moscou, il fait rouvrir le cercueil, baise sur le front le cadavre, et ordonne des funérailles somptueuses. Mais le tsar ne sera pas inconsolable.

    Menchikov a déjà pris la place de favori et d’amant, il est à la fois compagnon d’orgies et de lit, confident, commandant de la cavalerie et ministre. Il remplit toutes ces fonctions avec habileté, dévouement et amour. Le couple se dispute souvent, Pierre bat parfois Alexandre, qu’il appelle « mon enfant de choeur », mais ils se réconcilient toujours.

    Berkholz, un contemporain, écrit : « Le jeune et joli Menchikov est là pour le plaisir du tsar. » À la demande de Pierre, le peintre saxon Dannenhaeur, exécute un portrait du favori nu. Le Français Villebois, présent à la cour, écrit dans sa correspondance : « Le tsar a des accès de fureur amoureuse pour les deux sexes. »

    Menchikov, même après son mariage avec la princesse Doria, va demeurer le favori. Il est haï et redouté. L’emprise qu’il a sur le tsar est inimaginable. Les sénateurs font le compte des exactions, vols et turpitudes dont il s’est rendu coupable, et présentent toutes les preuves au tsar. Pierre, après en avoir pris connaissance, entre dans une violente colère, bat son favori et… lui pardonne : « Qu’importe. Menchikov sera toujours Menchikov. »

    Lorsque son favori prend de l’âge, le tsar s’intéresse à ses jeunes domestiques. Le témoignage de Pouchkine (l’arrière grand-père du célèbre écrivain) est clair : « Il a, pour certains de ses domestiques comme Nartov, une tendresse équivoque. Ses démonstrations d’amitié, sont aussi surprenantes que ses coups de colère. Parmi ses pages, il s’est intéressé aussi au fondement d’un jeune Noir, Abraham Pétrovitch Hannibal. Je rapporte cette anecdote assez malpropre, mais qui peint bien certaines habitudes de Pierre. »

    Cette même année 1699 le tsar se débarrasse de son épouse Eudoxie, en l’enfermant dans un couvent. Sans attendre sa mort, désireux d’assurer sa descendance, il épouse, en 1711, Catherine Alexéievna, la future impératrice Catherine. Pierre Ier continue à gouverner comme un autocrate : ses oukases (décrets) obligent tous les hommes, à l’exception des popes, à se raser la barbe et à adopter le costume occidental.Il fait édifier une nouvelle capitale, Saint-Petersburg, au fond du golfe de Finlande, sur la mer Baltique. La construction sur des pilotis enfoncés dans des marais coûtera la mort de plus de 100 000 ouvriers.

    Poursuivant son désir de trouver de nouveaux alliés, le tsar entreprend un voyage en France, en avril 1717. À son retour, il découvre la conspiration de son fils. Emprisonné, Alexis meurt dans son cachot, probablement étranglé sur ordre de son père. L’opposition est décapitée, Pierre peut continuer ses réformes révolutionnaires pour occidentaliser la Russie.

    À sa mort, le 28 janvier 1725, Pierre Ier laisse une Russie agrandie, transformée, modernisée, européanisée. Menchikov conduit le deuil. La tsarine Catherine succède à son époux, mais elle est incapable de gouverner seule et confie le pouvoir à l’amant de son défunt mari, qui est devenu le sien.

    Menchikov tente, sans succès, de marier sa fille à l’héritier du trône. Mais il s’est attiré trop de haine. Ses nombreux ennemis, dès la mort de Catherine, complotent pour le renverser et parviennent à persuader le jeune tsar Pierre II de la malhonnêteté de Menchikov. Arrêté, déporté en Sibérie avec sa femme et ses enfants, il meurt le 2 novembre 1729. Grandeur et décadence du favori de Pierre le Grand…