Dans «les Amours masculines de nos grands hommes», l'historien Michel Larivière s'emploie à révéler l'homosexualité de personnages célèbres, fouillant et réinterprétant leurs écrits et leur vie.
L’Histoire est politique. Et la manière de la raconter est souvent subjective. Rédigée par les vainqueurs ou les perdants, même si les versions se veulent les plus honnêtes possible, elle sert souvent un propos ou caractérise, au moins, une certaine vision du monde. Dans les Amours masculines de nos grands hommes, publié chez La Musardine, Michel Larivière ne déroge pas à la règle. D’Alexandre le Grand à Maurice Béjart, en passant par Gustave Flaubert et Guillaume III d’Orange, il dresse le portrait d’une soixantaine de personnes célèbres à travers le prisme de leur homosexualité ou bisexualité.
Point de départ de son travail, une omertà, pour l’auteur, des historiens sur ces questions sexuelles, voire, parfois, une falsification de l’Histoire à cause de la censure moraliste chrétienne. «A la mort de Michel-Ange, tous ses poèmes composés pour son amant Tommaso Cavialerie sont tronqués, l’orthographe masculine est féminisée pour faire croire que le poète s’adresse à une femme», écrit Michel Larivière. Pour l’auteur, qui a publié de nombreux ouvrages sur l’homosexualité dans l’art et la littérature, «on ne peut comprendre et apprécier les chefs-d’œuvre de ces génies si on oublie qu’ils ne couchaient pas seulement sur la toile leurs modèles apprentis ou compagnons… mais également dans leur lit».
Malheureusement, explique-t-il, «cette censure s’exerce encore à l’université et dans les musées», fustigeant aussi qu’à l’école, «on refuse d’accepter et d’enseigner qu’un homme a été influencé par l’amour qu’il portait à quelqu’un de son sexe».
En octobre 2012, Najat Vallaud-Belkacem, dans un entretien au magazine Têtu, avait également regretté «qu’aujourd’hui, ces manuels s’obstinent à passer sous silence l’orientation LGBT [lesbienne, gay, bi et trans] de certains personnages historiques ou auteurs, même quand elle explique une grande partie de leur œuvre, comme Rimbaud». Elle avait annoncé sa volonté que les manuels scolaires soient «passés en revue». Ces déclarations avaient suscité une petite polémique et n’avaient pas été suivies d’effets (et avec l’ambiance actuelle, on imagine que le sujet ne va pas revenir sur la table de sitôt).
Intime et décisions politiques
Michel Larivière défend l’idée que l’homosexualité ne relève pas que de l’intime. «En Histoire, tout se tient, pense-t-il, les inclinations sentimentales, importantes dans le comportement d’un simple individu, sont à plus fortes raisons déterminantes chez un personnage qui possède une responsabilité politique ou une influence artistique.» Ses portraits de Louis XIII, Théodore Géricault ou Honoré de Balzac s’appuient sur des textes historiques, d’autres études bibliographiques ou des lettres et documents qu’il est allé chercher dans différentes archives.
«Toutes les citations que je rapporte sont authentiques. Si mon interprétation des faits peut être mise en doute par un historien, en revanche, je le défie d’avancer d’autres témoignages qui prouvent le contraire», avance-t-il. Là est tout l’enjeu. Rarement un homme célèbre a écrit noir sur blanc qu’il était homosexuel ou bi. Il faut pour cela s’appuyer sur des correspondances feutrées et interpréter les lettres plus ou moins enflammées. Comme pour Flaubert recevant un message de son ami Alfred Le Poittevin : «Je t’embrasse le priape en te socratisant. Je viendrai te voir sans faute vers une heure. Bandes-tu ?»
Ou l’écrivain lui-même parlant à Louis Bouilhet, un autre ami, de ses aventures au Caire, en Egypte, avec de jeunes hommes qui massent et sucent : «Tu me demandes si j’ai consommé l’œuvre des bains. Oui, sur un jeune gaillard gravé de la petite vérole qui avait un énorme turban qui m’a fait rire. Je recommencerai.»
Ce combat, pour révéler ce qu’il considère être des pratiques homosexuelles ou bi des hommes célèbres, Michel Larivière ne le mène pas que dans ses ouvrages, mais aussi sur Internet. Sur Wikipédia, on peut voir son nom apparaître dans plusieurs discussions.
Quentin Girard