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William SHAKESPEARE, “To Bi or not to Bi”

(1564-1616)

William nait à Stratford sur Avon, troisième fils d’une famille de huit enfants. John, son père, propriétaire terrien et commerçant aisé est nommé Maire de la ville. Sa mère est issue de petite noblesse. William reçoit une excellente éducation à l’école de Stratford, bon élève au point d’être admis à fréquenter l’Université d’Oxford. Ses études sont interrompues par les mauvaises affaires et la ruine de son père. A l’âge de dix huit ans, le brillant élève est contraint par ses parents d’épouser Anne Hathaway, de huit ans son ainée, enceinte de trois mois.

A-t-il été contraint de se marier pour régulariser sa paternité, ou Anne voulait-elle   légaliser une aventure avec un autre homme ? L’histoire ne nous le  dit pas. Ce mariage obligé n’est peut-être pas étranger à la future orientation sexuelle de William. En 1585, les registres de baptême attestent la naissance de deux jumeaux : Hamnet, un garçon et Judith, une fille.
Shakespeare a déjà quitté le foyer conjugal ! Comportement sans précédent ! Jamais à cette époque un mari n’abandonnait femme et enfants. On ne connaît pas d’autres exemples, même dans les familles de la noblesse. Entre 1585 et 1592 on ignore tout de la vie de Shakespeare. Certains avancent qu’il a pu être maître d’école, clerc de notaire, apothicaire ou imprimeur. Seule certitude : on le retrouve à Londres en 1592 acteur et auteur dramatique. Sa passion pour le théâtre a toujours été sa première préoccupation, son seul but dans l’existence, au point de sacrifier sa famille, mais il ne l’oublie pas complètement.

Apprenant la mort de son fils Hamnet, Shakespeare éprouve le remord d’avoir abandonné son épouse qui avait été dans l’obligation d’élever seule ses enfants. Il vient le 11 août 1596 à l’enterrement. Hamnet avait onze ans, la mort d’un enfant en bas âge était banale à cette époque. Pour son père c’était une dure épreuve, car il perd son seul héritier mâle. Il revient une seconde fois le 8 septembre 1601 pour l’enterrement de son père, une troisième fois en 1607 pour le mariage de sa fille Suzanne qu’il avait reconnue bien qu’un doute persiste sur sa paternité.

En 1594, Shakespeare est déjà un auteur connu puisque l’on trouve dans le compte des divertissements royaux : «  Vingt livres allouées à William Shakespeare pour deux comédies présentées devant Sa Majesté à Noël dernier. »

L’Eglise anglicane ayant désacralisé la messe et les processions pompeuses du catholicisme romain, le spectacle se substitue aux rituels de l’ancienne religion
Sous Elisabeth Ière, Londres est la première ville du Théâtre, Le Globe, achevé en 1559, n’a d’équivalent dans aucune capitale d’Europe. Mais la vie des comédiens est strictement réglementée : Une loi de 1572 ordonne que tout acteur n’appartenant pas à un noble du royaume soit considéré comme un vagabond, battu et emprisonné ! William n’a pas le choix, il doit se mettre sous la protection d’un grand seigneur.
 La légende veut qu’il ait commencé par garder les chevaux des spectateurs à la porte des théâtres ; il est plus probable qu’il a débuté dans la compagnie de Lord Strange comme figurant, doubler ensuite des rôles secondaires et découvrir alors sa vocation d’auteur dramatique. Il est énergique, sûr de son talent, il écrira trente-six pièces.
Lorsqu’il arrive à Londres, la compagnie de Lord Strange et les comédiens de la reine donnent six représentations par semaine d’une pièce différente chaque jour de Christopher Marlowe, George Peele ou Thomas Kyd.

Ce dernier est l’amant de Marlowe qui a le même âge que Shakespeare. Marlowe qui ose déclarer : « Ceux qui n’aiment pas les garçons sont des imbéciles ! » est déjà connu par sa pièce  Massacre à Paris qui décrit la Cour de Henri III et de ses Mignons.
 Shakespeare plagiera Marlowe dans Titus Andronicus et Richard II. L’imitation et l’emprunt étaient pratique courante à cette époque chez les auteurs.

La mort prématurée de Marlowe dans une rixe fera de Shakespeare le principal dramaturge de Londres. Shakespeare devient le secrétaire de Henry de Wriothesley, comte de Southampton. Ils se sont rencontrés au théâtre par l’intermédiaire de Giovanni Florio qui apprend à William l’italien et le français.
C’est dans la bibliothèque de cet éminent linguiste (il a traduit Montaigne) que Shakespeare va puiser l’inspiration et le décor du Marchand de Venise, de Volpone , de Roméo et Juliette, de Trois gentilshommes de Vérone.

Lorsque qu’une première épidémie de peste ravage Londres et ferme les théâtres, Shakespeare se  tourne alors vers la poésie. Secrétaire intime, de Southampton il lui dédicace  Venus et Adonis, poème qui raconte la passion que suscite un jeune homme, et Le Viol de Lucrèce : « L’amour que je porte à Votre Seigneurerie est sans fin. Ce que j’ai fait est à vous. Ce que j’ai fait faire est vôtre, vous êtes une partie de moi-même, votre ami dévoué, William. »
Puis il écrit ses fameux Sonnets dédicacés W.H. qui sont les initiales inversée de Henry Wriothesley, son protecteur. La prudence lui fait dicter des conseils de discrétion :

« Je supporterai seul et sans ton aide la flétrissure qui s’attache à moi.
Il me faut désormais ne pas te reconnaître
De peur que mon ignominie déplorée te fasse honte
Et toi tu ne peux plus m’honorer en public de ton affection
Sans retirer ton honneur à ton nom. Ne fais pas cela
Car tu m’appartiens, je défends ta réputation
C’est ainsi que je t’aime. »

Sous le règne d’Elisabeth, la  sodomie est punie de la peine capitale, le poète sait se montrer prudent. Les Sonnets sont publiés pour la première fois en 1609, peut-être sans l’autorisation de l’auteur. Depuis six ans Jacques Ier est monté sur le trône. L’homosexualité du roi est notoire °, et Henry Wriothesley est l’un de se favoris. On peut supposer que ce sont là des raisons suffisantes pour que cette édition originale ne soit pas censurée. Il n’en sera pas de même des publications suivantes qui vont connaître de nombreuses péripéties.

En 1640, John Benson -censeur puritain- publie une édition en remplaçant les pronoms masculins par une orthographe féminine, afin de faire croire que tous les poèmes s’adressent à une femme. Il faut attendre plus d’un siècle, en 1780, pour que l’orthographe originale soit restituée.

Les Anglais, scandalisés que leur poète national soit suspecté de  sodomie,  approuvent Samuel Coleridge, qui vers 1800 soutient que l’amour du poète est pur, que les poèmes au masculin sont l’expression sublimée de l’affection du poète pour son fils défunt !
Durant le XIXème siècle les éditeurs continueront à censurer l’homosexualité des Sonnets en transformant l’orthographe masculine en féminine. François-Victor Hugo, le dernier fils de Victor Hugo est l’un des premiers à faire figurer les Sonnets dans sa traduction des œuvre complètes de Shakespeare. Il reconnaît que sur cent cinquante sonnets, vingt-cinq sont adressés à une jeune femme et tous les autres à un jeune homme (sonnet XXVI) :

« Comme j’ai deux esprits, j’ai aussi deux amours,
L’un est un réconfort, l’autre mon désespoir.
Mon bon ange est un homme d’une grande beauté,
Et mon mauvais ange est une femme bronzée. » 

Le sonnet XXXIII est encore plus explicite :

« Homme, tu domines tout de ton état suprême,
Dérobant les regards des hommes et fascinant l’âme des femmes
Tu fus d’abord créé pour être femme
Puis quand la nature t’eut fait elle délira
Et par une addition me frustra de toi
En t’ajoutant une chose dont je n’ai que faire,
Puisqu’elle t’a donné un membre pour le plaisir des femmes
Donne leur la jouissance, garde-moi ton amour. »

On peut difficilement être plus clair : actif avec les femmes, le dédicataire du poème se comporte avec le poète d’une manière passive. Shakespeare regrette que son amant soit pourvu du membre qui sert au plaisir des femmes, lui ne s’intéresse qu’au « verso »
Un portrait du Comte de Southampton habillé en femme a été découvert récemment
C’est le master/mistress des Sonnets. A la fin du XVIème l’androgynie était admise : les aristocrates estimaient convenable d’assurer leur part de féminité. Cette tolérance était bien entendu le privilège de la noblesse, pour le peuple la « sodomie » demeurait passible du bûcher. 

Rappelons qu’au théâtre les rôles féminins étaient toujours joués par des garçons travestis. Il est probable que Shakespeare éprouvait un plaisir trouble à mettre en scène le personnage d’une fille, joué par un garçon efféminé.

Dans Comme il vous plaira, l’acteur jouant le personnage de Rosalinde peut conserver son véritable habit masculin – puisque dans la pièce il représente une fille déguisée en garçon- et sous ce faux travestissement (génial artifice de théâtre) séduire un homme en toute impunité !

Il n’est pas nécessaire de connaître la langue anglaise pour apprécier Shakespeare. Contrairement à certaines  langues étrangères qui perdent beaucoup de leur charme dans une  traduction, le vers de Shakespeare conserve en français sa vérité, sa violence, son émotion faite de chair d’âme et d’amour. Nulle peur de l’Eglise : « Rien n’est pire que les prêtres et les temples menteurs » (Cymbeline, acte IV, scène 2) Nulle trace de foi pour la religion anglicane chez ce contemporain d’Elisabeth Ière et de Jacques Ier. Quel défi pour l’Angleterre puritaine !

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