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Louis XVIII restaure les favoris

Contraint par les ultras à exiler son favori Decazes, le roi lui écrit une lettre déchirante : « Viens voir le prince ingrat qui n’a pas su te défendre. Viens mêler tes larmes aux miennes. »

Ci-gît le roi polichinelle Imitateur du grand Henry Qui prit Decazes pour Sully Et quelques fois pour Gabrielle… »  C’est la chanson sous forme d’une méchante épitaphe qui courait dans Paris à la mort de Louis XVIII . L’opinion publique savait que Decazes était plus que le ministre du roi, son très aimé « favori » (Henri IV avait eu Sully pour ministre, et Gabrielle d’Estrées pour maîtresse !).

Comme son frère aîné, Louis XVI , le jeune comte de Provence, né en 1755, souffrait d’une infirmité congénitale qui lui rendait douloureux tout acte sexuel. Après quelques années de chasteté forcée, Louis XVI s’était fait opérer et avait pu honorer la reine Marie-Antoinette. Le comte de Provence, quant à lui, refusera l’opération et restera toute sa vie incapable de montrer sa virilité. Il se mariera pour la forme, car il ne pouvait avoir d’enfants.

Le jour où Louis XVI, fuyant la Révolution, est arrêté à Varennes, le comte de Provence réussit à s’enfuir en Belgique. Lorsque le jeune Louis XVII meurt dans la prison du Temple à Paris, son oncle se proclame héritier du trône de France sous le nom de Louis XVIII, et devient le chef des émigrés contre-révolutionnaires. Il poursuit sa vie d’exil à Vérone, puis chez le tsar de Russie à Varsovie, enfin en Angleterre. Après le coup d’État du 18 Brumaire (9 novembre 1799), il écrit à Bonaparte pour lui demander de restaurer la monarchie. Le Premier consul refuse poliment. Louis XVIII devra attendre la chute de l’Empire pour rentrer à Paris, le 3 mai 1814, dans les bagages des armées étrangères qui ont vaincu la France.

Dans la charte constitutionnelle qu’il donne aux Français, Louis XVIII veut effacer la Révolution, mais il ne réussit qu’à mécontenter l’opinion. Napoléon, ayant quitté l’île d’Elbe, réussit à reprendre le pouvoir sans faire usage de la force. Cela montre à quel point la première Restauration était impopulaire. Louis XVIII se réfugie à Gand, en Belgique. Après les Cent jours, c’est Waterloo, et Napoléon part pour Sainte-Hélène. Le 8 juillet 1815, Louis XVIII rentre dans Paris, accueilli par un calembour qui court les rues : « Vive notre père de Gand ! »

Le roi a 60 ans, il est obèse, impotent, et, bientôt, ne quittera plus son fauteuil roulant. Mais il a conservé l’esprit alerte et du bon sens. Il veut une politique libérale face aux ultras réactionnaires menés par son frère le comte d’Artois (futur Charles X), et tente de limiter la « Terreur blanche », cette réaction de vengeance des aristocrates contre les bonapartistes.

Impuissant, il se console de ne pouvoir faire l’amour en racontant des histoires égrillardes et il adore qu’on lui en raconte. Sa femme est morte, et les conventions de l’époque sont telles qu’il doit afficher des maîtresses. Madame de Balbi, Mademoiselle Bourgoin, Madame de Mirbel et Madame Princeteau, soeur de Decazes, tiennent successivement ce rôle. Selon le propre témoignage de ces dames, le roi ne dépassera jamais le stade des petits jeux, badinages et câlineries qui demeurent chastes. Bientôt, il se lasse des dames, et sans crainte du qu’en-dira-t-on, s’attache ouvertement de jeunes hommes. Tout d’abord le comte d’Averay, qu’il comble de bienfaits, puis le duc de Blacas, qu’il nomme pair de France et Premier ministre.

Malheureusement Blacas veut gouverner comme si la Révolution n’avait pas eu lieu. Les conseillers du roi obtiennent sa destitution. Cet acharnement contre son protégé suscite de la part de Louis XVIII cette réflexion amère :

 « On pardonne sa maîtresse à un souverain, on ne lui pardonne pas ses favoris. »

 La mort dans l’âme, le roi cède et envoie Blacas comme ambassadeur à Naples. Mais pendant les semaines suivantes, il ne cesse de pleurer :

« Il est parti, mon petit ! Comme je l’aimais mon petit enfant… Ah ! les gredins, ils m’ont retiré ma vie. »

 Un mois plus tard, Louis XVIII a trouvé un nouveau favori : Élie Decazes. C’est un homme de 35 ans, d’une grande beauté. Il a été fonctionnaire de l’Empereur, puis, sous la Restauration, il a succédé à Fouché comme ministre de la police.

Dans ses Mémoires d’outre-tombe, Chateaubriand s’étonne de la passion du roi pour Decazes : « Se fait-il dans le coeur des monarques isolés un vide qu’ils remplissent avec le premier objet qu’ils trouvent ? (…) Est-ce une amitié qui leur tombe du ciel pour consoler leur grandeur ? Est-ce un penchant pour un esclave qui se donne corps et âme, devant lequel on ne se cache de rien, esclave qui devient un vêtement, un jouet, une idée fixe, lié à tous sentiments, à tous les goûts, à tous les caprices de celui qu’il a soumis et qu’il tient sous l’empire d’une fascination invincible ? Plus le favori est bas et intime, moins on le peut renvoyer, parce qu’il est en possession de secrets qui feraient rougir s’ils étaient divulgués. »

 Il faut lire entre les lignes. Par pudibonderie, Chateaubriand se garde de nommer les amours royales. Mais que peuvent  être « ces secrets qui feraient rougir » ?

Plus près de nous, le duc de Castres, autre biographe, montre que le roi ne vivait que pour Decazes. Tous les matins, il le voyait au Conseil des ministres, et lui faisait passer constamment des billets affectueux. Dans l’après-midi, lorsque Decazes était absent, il lui écrivait encore. Et le soir, après le départ de la famille royale, il passait de longs tête-à-tête avec lui. Dans le désir de chasser Decazes, on trouve chez les ultras le souci de le remplacer par le réactionnaire duc de Richelieu. Mais en écartant Decazes, ce n’est pas seulement le ministre libéral que les ultras chassent, c’est surtout le favori qui dispose de l’affection exclusive de Louis XVIII , et dont la liaison avec le roi fait jaser. Mais Decazes était toujours en place et le roi continuait à l’appeler son « cher petit », à l’embrasser en public et à lui envoyer chaque jour une correspondance très affectueuse.

Le soir du 13 février 1820, le duc de Berry, deuxième fils du comte d’Artois, donc neveu de Louis XVIII, est assassiné par Louvel. Dès le lendemain, Madame de Cayla fait courir la rumeur que c’est Decazes qui a poussé Louvel, par haine des ultras. Ces soupçons indignent Louis XVIII. Néanmoins, le roi doit céder et renvoyer son favori. Dans une autre lettre déchirante, il annonce à Decazes qu’il est nommé ambassadeur à Londres et il termine ainsi :

« Viens voir le prince ingrat qui n’a pas su te défendre. Viens mêler tes larmes aux miennes. »

Le jour de son départ, Decazes reçoit un dernier billet du roi :

 « Adieu ! C’est le coeur brisé que je te bénis. Je t’embrasse mille fois. »

 Louis XVIII se contentait-il d’écrire des lettres enflammées ? L’éventualité d’un rapport physique entre les deux hommes paraît peu probable, puisque le roi avait, selon l’expression du temps, « l’aiguillette nouée ». Il était passionnément amoureux, mais chaste par obligation.

Michel LARIVIERE, Historien. On vous l'a caché à l'école extrait de Têtu

 

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