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Homosexuels et bisexuels célèbres - Page 28

  • GÉRICAULT SUR LE RADEAU DE L’AMOUR…

    Sur Le Radeau de la Méduse, un homme mûr enlace le cadavre d’un jeune homme, symbolisant l’amour du peintre pour son modèle, Jamar…

    Géricault passe son enfance à Rouen, dans une atmosphère troublée par la Révolution, dont la violence marquera l’oeuvre du peintre.

    En 1796 sa famille s’installe à Paris. Après des études au lycée Louis-le-Grand, Théodore fréquente l’atelier du peintre Carle Vernet. Très jeune, il a la passion du cheval. Il monte dans la propriété de son oncle près de Versailles où se trouvent les écuries royales. Il se complaira dans la compagnie exclusivement masculine des cavaliers, palefreniers et militaires qui sont, avec les chevaux, les sujets de ses toiles.

    Suivant le conseil de son ami Eugène Delacroix, qui dans son Journal témoigne de l’extraordinaire attachement qu’il lui porte, Géricault exécute au Louvre de nombreuses copies de grands maîtres, avant de peindre L’Officier de chasseur cheval chargeant, exposé au Salon de 1812 et qui caractérise son art : un sujet contemporain traité sur le mode antique. Peintre estimé sous l’Empire, il a échappé à la conscription, son père lui ayant « acheté » un remplaçant parti à sa place à la guerre.

    Lors de la Restauration, il s’engage dans les Mousquetaires du Roi et fera partie de la garde qui accompagne Louis XVIII fuyant le retour de Napoléon. Après Waterloo, de nouveau à Paris, il réussit à faire oublier son incartade royaliste.

    Les historiens veulent à tout prix ignorer l’homosexualité de Géricault en évoquant une liaison avec sa tante Alexandrine Caruel qui lui aurait donné un fils. D’autres avancent que cet Hippolyte-Georges Géricault serait le fils de la baronne Lallemand. Aucune de ces deux hypothèses n’est prouvée, car c’est seulement une ordonnance royale de décembre 1840 qui attribue à Hippolyte-Georges « né de mère inconnue » le nom de Géricault. Si le peintre était son père, pourquoi ce garçon n’aurait-il pas hérité de son oeuvre et serait-il mort pauvre ? L’ordonnance de Louis-Philippe n’a-t-elle pas servi à dissimuler l’identité du véritable père d’Hippolyte ?

    Dans la première biographie de Géricault, qui paraît dès 1868, Charles Clément, en possession de toute la correspondance du peintre, confesse : « Je n’ai pas voulu conserver à la postérité ce qui m’a paru choquant, ni évoquer ces affections particulières qui le troublaient sans cesse, où il apportait toute la violence de son caractère et de son tempérament, et sur lesquelles il ne m’est pas permis d’insister davantage. Il souffrait d’un amour dévoyé. » Ayant échappé au censeur, des correspondances prouvent la grande affection de Géricault pour son ami Dedreux-Dorcy, le modèle de sa toile Artiste dans son atelier, comme cette lettre de 1816 : « Que vous dire après le rêve déraisonnable de cette nuit qui vient de s’écouler ? Il me manque un bon ami comme vous avec lequel je pourrais vivre et travailler. Mon coeur n’est jamais content, il aurait besoin de votre amitié… » Géricault a 25 ans lorsqu’il écrit cette lettre.

    Tout homme de cet âge entretient une liaison sexuelle et étale sans vergogne le fruit de ses amours. Or il n’est pas question de femmes ou de jeunes filles, il n’en parle pas, il n’en peint pas. En revanche, c’est avec une suavité et une tendresse rares chez lui qu’il peint le beau visage de son ami Dedreux-Dorcy. Portrait exceptionnel dans son oeuvre, où les hommes sont toujours très virils.

    Lorsque Géricault était l’élève de Guérin, celui-ci lui faisait remarquer que ses nus masculins s’éloignaient des modèles, car il augmentait toujours les proportions. « Oui, j’aime les hommes aux grosses fesses », répondit le peintre, avouant ne pas parvenir à peindre les corps féminins : « Je commence une femme, je finis par un lion ou un cheval. » Le modèle féminin ne le tente pas, il préfère la beauté du mâle. Ce fantasme apparaît de manière obsessionnelle dans toute sa peinture.

    Son biographe oubliera de censurer une autre correspondance de 1817, encore plus révélatrice de l’amour du peintre : « Mon cher Dorcy, une lettre convient si peu pour l’ouverture de mon pauvre coeur rempli de vous. Rien n’est si doux que de se savoir aimé ! J’ai si peu d’amis qui se plaisent à recevoir et faciliter un complet épanchement. Pourquoi m’avez-vous quitté mon ami ? Je m’entendais bien avec vous et je vous aimais. C’était pour moi une source de véritable bonheur. » Le comportement de Dedreux-Dorcy montre qu’il s’agit bien d’amour. Il restera son confident jusqu’à son dernier souffle. Rien ne le dit mieux que le tableau de Scheffer qui montre le modèle prostré près du cadavre de Géricault…

    Dans la biographie de Clément apparaît un autre attachement masculin du peintre, révélé par cette anecdote : « Le “rapin” [l’élève] de Géricault, un adolescent nommé Jamar dormait le plus souvent dans l’atelier. Un jour, il se formalisa d’une remontrance que son maître lui avait faite, il fila chez lui et ne revint pas pendant deux jours. Le troisième jour, Géricault vint à cinq heures du matin le rechercher. Cela montre à quel point le peintre était attaché à son apprenti. » Pour qu’il y tienne à ce point, Jamar étaitil pour le peintre plus qu’un apprenti ? On peut le croire à regarder Le Radeau de la Méduse présenté au Louvre en 1819. À gauche de cette toile gigantesque, on voit dans une attitude de désespoir un homme mûr enlaçant le cadavre d’un beau jeune homme.

    Dominique Fernandez, dans Le Rapt de Ganymède, nous dit : « Une étude préliminaire nous montre le jeune homme dans une autre pose, il se raidit entre les jambes de l’homme mûr. » Jamar a posé pour le jeune homme, seul modèle vivant au milieu des cadavres « prêtés » par l’hôpital Cochin, et on comprend que Géricault se soit autocensuré, renonçant à une attitude de possession érotique. Dans le tableau subsiste néanmoins une expression d’abandon sexuel. On imagine l’ambiance trouble où évoluaient les deux peintres, enfermés dans un atelier dans lequel voisinaient la beauté, l’amour et la mort…

    Selon Clément, Géricault meurt, en janvier 1824, « des suites d’une chute de cheval au bois de Boulogne ». Pour d’autres historiens, c’est une maladie vénérienne qui serait la cause de son décès.