« J’éprouvais un curieux dégoût pour les filles, elles me faisaient trembler. L’expression que j’utilisais pour qualifier une chose qui me révulsait était “ça fait fille”. » Hans Christian Andersen
«Je me languis de toi, comme d’une belle fille de Calabre. Mes sentiments pour toi sont ceux d’une femme. Mais la féminité de ma nature et notre amour doivent demeurer un secret. » En 1835, Andersen a 30 ans lorsqu’il écrit ces mots à Édouard Collin, qui rapporte dans ses Mémoires parues après la mort du conteur : « Je me trouvais dans l’impossibilité de répondre à cet amour, et cela a fait beaucoup souffrir Andersen. » Ces deux lettres sont à rapprocher de ce seul aveu – si discret qu’il passe inaperçu – dans Le Conte de ma vie, la propre autobiographie de l’écrivain danois célèbre pour ses contes de fées : « Mon seul ami est l’un des fils de M. Collin, le futur conseiller Édouard Collin. Bien que mon cadet, il était plus mûr que moi et son esprit positif contrastait avec ma nervosité féminine. Je sentais en lui un ami très sûr qui agissait dans mon intérêt, même si je ne comprenais pas ses bonnes intentions. »
Cet aveu n’est compréhensible qu’avec la clé contenue dans ces deux premières lettres citées. Édouard n’a probablement pas accepté l’amour de Hans et tente, dans sa correspondance, de justifier son refus par la crainte du scandale et de l’ostracisme dont ils auraient été victimes si une telle liaison avait été découverte…
Hans Christian Andersen naît à Odense au Danemark, le 2 avril 1805, d’une mère illettrée et d’un père cordonnier, engagé dans les armées napoléoniennes. Ce dernier rentrera au foyer après Waterloo et mourra l’année suivante, en 1816. Dans ses Mémoires, Andersen reconnaît sa féminité juvénile : « Je possédais à l’époque une voix de soprano. À 14 ans, on me fit chanter. (…)
Un apprenti ne trouva rien de mieux que crier au milieu de ma chanson : “Ce n’est sûrement pas un garçon, c’est une petite demoiselle.” Tout en larmes et rougissant, je m’enfuis chez ma mère. » Hans souffre d’être traité de fille, car il avoue sa misogynie : « J’éprouvais un curieux dégoût pour les filles, elles me faisaient littéralement trembler.
L’expression que j’utilisais pour qualifier une chose qui me révulsait était : “Ça fait fille !” » Sa mère se remarie et envoie Hans à « l’école des pauvres ». Deux voisines de la bourgeoisie cultivée prennent Hans en affection, lui révèlent Holberg – le Molière danois – et Shakespeare. Aidé de dictionnaires, le jeune Andersen commence à écrire des pièces dans un mélange de danois, d’anglais et d’allemand. A près avoir travaillé chez un tailleur, il avait pu économiser un peu d’argent et supplie alors sa mère de le laisser parti pour Copenhague au Danemark. Quand elle lui demande « que vas-tu faire là-bas ? », il répond : « Je deviendrai célèbre, le théâtre est ma vocation. »
Ne doutant de rien, il se présente devant le directeur d’une salle : « “Que voulez-vous danser ?” Sans hésitation, je répondis : “Le rôle de Cendrillon, je l’aime tant !” Pensant que j’étais fou, le directeur coupa court à l’entretien. » Recueilli par le poète Gulberg, puis par l’acteur Lindgreen, Hans obtient finalement un petit rôle dans le ballet Armide. « Ce fut un grand moment de ma vie, celui où mon nom apparut imprimé : il me sembla qu’il y avait autour une auréole d’immortalité. J’allais tous les jours regarder l’affiche et, le soir, je prenais au lit le programme du ballet. Une fois couché, je contemplais mon nom à la lueur de la bougie : c’était le bonheur absolu. »
La rencontre décisive pour son avenir a lieu en 1822. Jonas Collin, du Théâtre royal, devine les qualités intellectuelles de Hans et lui obtient du roi une bourse d’études au collège. Pendant dix ans, Hans travaille avec acharnement pour combler ses lacunes en culture générale, renonce à écrire des pièces de théâtre et commence ses Contes pour enfants. Publiée en 1835, l’oeuvre rencontre immédiatement un énorme succès.
C’est à ce moment qu’il ose avouer son amour à Édouard Collin, le fils de son protecteur. « La maison de Collin fut mon véritable foyer. Mon inspiration, je l’ai respirée dans cette atmosphère, et je combattis ainsi les dispositions morbides de mon esprit. » Hans refoule son amour pour Édouard, le fils de la maison, et le transpose en nourrissant son inspiration. Dans son roman intitulé O.T., il décrit l’intimité de deux étudiants qui entreprennent ensemble un long voyage. Un pauvre étudiant au caractère très féminin (lui-même) et son alter ego, le riche étudiant (Édouard), qui ne comprend pas que son camarade veuille lui témoigner plus que de l’amitié. Compte tenu du contexte puritain, l’écrivain ne pouvait aller plus loin dans la description d’un amour homosexuel refoulé parce que refusé. Le conte de fée La Petite Sirène qui se suicide pour son beau prince est le symbole de l’amour impossible d’Andersen.
Quelques historiens homophobes ont inventé « un amour malheureux » pour Jenny Lind. En réalité, dans Le Conte de ma vie, Andersen exprime son admiration pour le « rossignol du Nord », mais ne dis pas un mot sur une quelconque attirance, et encore moins sur une éventuelle liaison avec la première cantatrice de Suède. Ses Mémoires n’évoquent pas une seule fois sa vie sentimentale, qui, en fait, devait être inexistante. En revanche, son journal intime précise son dégoût pour le coït. En voyage à Naples, il note, le 26 février 1834 : « J’étais entouré d’entremetteurs qui me proposaient une “bella donna”, une fillette de 13 ans ! J’ai refusé avec horreur. Je suis sûr que beaucoup de personnes riraient de mon innocence, mais c’était vraiment une répulsion pour cette chose pour laquelle j’éprouve un tel dégoût. »
Long nez, maigreur dégingandée, Andersen souffre d’un physique très ingrat. En l’absence totale de vie sentimentale, il se résout à une activité masturbatoire. Dès qu’il sera connu, il compensera cette carence par un snobisme effréné, ne fréquentant que des célébrités. Après le premier recueil des Contes pour enfants, Andersen publie les Contes, traduits bientôt dans toutes les langues. Il possède la gloire dont il avait rêvé. Il est invité à la cour par le roi Frédéric VI pour lire des extraits de son oeuvre.
Il ne cesse de voyager et est reçu par les personnalités du monde littéraire. En 1843, à Paris, il rencontre Balzac, Lamartine, les Dumas père et fils, qui l’emmènent à la Comédie-Française. Andersen est en admiration : « Dans les blocs de marbre de Corneille et Racine, Rachel [grande tragédienne de l’époque] se taille des statues vivantes. Son jeu a une puissance, une vérité, un naturel qui diffèrent de la conception du théâtre danois. » Il est reçu par les rois et reines d’Europe, en Allemagne, en Hollande, en Espagne, au Portugal.
En Angleterre, accueilli à la cour, il rencontre Dickens et lui témoigne une chaleureuse amitié. Il ne se lasse jamais des compliments, et s’il devait porter toutes ses décorations… il ressemblerait à un arbre de Noël !