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  • LE GRAND AMOUR DE MAURICE BEJART

    Maurice Béjart

    (1927-2007)

     

                Fils du philosophe Gaston Berger,  Maurice est un petit et frêle jeune homme, conscient qu'il n'est pas vraiment bâti pour la danse. Dès ses premières leçons, il se juge lui-même médiocre et sait qu'il deviendra chorégraphe. Il débute modestement  à 14 ans à l'Opéra de Marseille,  rêve de "monter" à Paris, mais devra attendre la fin de l'Occupation pour y venir suivre les cours de l'Opéra de Paris.

                 Il comprend qu'il ne pourra créer sans maîtriser la technique classique incontournable  et il se nourrit de cette discipline qu'il veut parfaitement connaître avant de la rejeter en la dépassant. Ses maîtres lui enseignent les traditions des écoles françaises et russes qu'il  assimilera, dont il s’imprègnera pour assumer ses premières créations.

                Ce révolutionnaire, ce novateur, qui passe pour un iconoclaste est l'héritier direct d'un patrimoine dont il a compris la richesse. Si les racines de toutes les civilisations qu'il va  côtoyer vont  nourrir ses chorégraphies de la manière la plus profonde et la plus intime, sa technique n'en demeure pas moins directement issue de ses maîtres du classique. C'est sur ces bases qu'il construit ses inventions personnelles. Sa capacité à utiliser les richesses du passé pour créer une tradition nouvelle est la caractéristique essentielle de son art.

                Il prend le pseudonyme de Béjart en hommage à Molière, car le théâtre et la danse le passionnent également.  ( En 1976, il assumera son goût pour le théâtre en montant  Molière Imaginaire à la Comédie française )

                A Stockholm en 1950, il travaille avec Brigitte Cullberg, crée son premier ballet L'Inconnu, et fonde sa première compagnieLes Ballets de l'Etoile qui met  affiche des ballets classiques sur des musiques d'Offenbach, Liszt, Berlioz, Chopin.

                 Le succès, d'abord modeste, va venir avec Symphonie pour un homme seul, sur une musique concrète de Pierre Schaeffer et Pierre Henry. On retrouve ce thème de l'homme moderne face au monde violent et cruel dans Haut Voltage qu'il danse sur les compositions de Marius Constant. Son goût pour la musique contemporaine engendre ses premières chorégraphies révolutionnaires.

                En 1959, faute d'un soutien du gouvernement français, il s'installe,auThéâtre de la Monnaie de Bruxelles, où il acquiert la notoriété avec Le Sacre du Printemps sur la musique de Stravinsky, une chorégraphie fulgurante, d' une sensualité assumée jusqu' à l'expression d'une violence érotique exacerbée.

                Cette reconnaissance lui permet de créer LesBallets du XXème siècle àBruxelles qui demeurera son part d'attache pendant vingt-sept ans.

                 Introduisant pour la première fois la danse au Festival d'Avignon en 1967, il semble prévoir la révolution des mœurs de Mai-68, quand il ose des chorégraphies dans lesquelles ses danseurs sont toujours torse nu et parfois vêtus d'un simple petit maillot. Avec Messe pour le temps présent, il fait découvrir la musique électroacoustique de Pierre Henry à un large public, et transforme un divertissement élitiste en art populaire. Après Avignon, il sera le premier chorégraphe à se produire dans des cirques, des palais des congrès et des sports.

                Nécessité économique pour les finances de sa compagnie, il multiplie les tournées, et le voyage sera un des thèmes principaux de ses ballets. Jetant des ponts entre les cultures et les civilisations les plus éloignées, prêchant des divinités de toutes origines -  l'amour hindou, les forces cosmiques africaines, les mystères de l'Egypte ou du Japon -  il construit des fresques érotiques qui fascinent le spectateur, fait de la danse, langage universel, le support d'une morale, d'un combat de l'esprit sur la matière.

                Sa culture est impressionnante, partant de la tragédie grecque, du Kabuki, du Nô, de la musique baroque ou viennoise, du folklore africain contemporain. Autant de sources où il puise l'inspiration de chorégraphies, originales, riches, variées.

                Quand il se déplace, il entre en osmose avec le pays: L'Inde avec Bhakti, Vienne avec Wien, nur du allein, Venise avec Acqua Alta, l'Iran, avec Golestan, le Japon avec Cinq nô de Mishima, et Kabuki, l'Egypte avec Pyramide, la Grèce avec Alexandre, l'Afrique avec Chaka.  C'est encore le thème du voyage, dans le pas de deux créé en 1971 à Bruxelles par Rudolf Noureev et Paolo Bortoluzzi Le Chant du compagnon errant sur la musique de Malher, qui va lui permettre d'exprimer la dimension spirituelle de l'homosexualité.

                Car on ne peut séparer l'homme de son œuvre: l'amour des garçons a été la source perpétuelle de l'inspiration du chorégraphe.  Le choix des danseurs de sa troupe est révélateur : ils correspondent tous - outre leur technique irréprochable -- aux mêmes critères  physiques qui l'inspirent et dont il est amoureux: C'est son goût pour les danseurs à la beauté éclatante, musclés, taille mince, épaules larges - le fameux " V" antique -  et dotés d'un visage au charme féminin, qui lui a également  permis de révolutionner la danse. Rudolf Noureev, Michaël Denard, Patrick Dupond, Paolo Bortoluzzi, Eric Vu Han,  tous ses danseurs étoiles ont cette même beauté. Mais, s'il a des liaisons amoureuses avec ses danseurs, sa  propre sexualité ne commande jamais ses distributions.

                En 1987, au terme d'un conflit avec Gérard Mortier, directeur de La Monnaie, la compagnie est dissoute. Béjart quitte Bruxelles et installe le Béjart Ballet  à Lausanne.  

             En 1984, j'avais envoyé mon livre Les Amours masculines à Béjart, espérant que cet homme d'une culture cosmopolite pourrait trouver le thème de nouveaux ballets dans les textes censurés que j'avais exhumés de l'Enfer de la Bibliothèque nationale. Pour me remercier il m'invita à dîner. J'ai trouvé un homme simple, sensible, chaleureux, le contraire d'une vedette. Curieusement, malgré toute sa célébrité, il regrettait encore que les pouvoirs publics ne lui aient pas permis de s'installer à Paris quand il commençait à être reconnu :

     " Quand j'ai quitté la France, ma compagnie avait sept ans et n'avait jamais reçu aucune subvention. Appelons cela pudiquement de l'indifférence à mon égard ! Aujourd'hui, la dernière compagnie qui commence et n'a rien prouvé, obtient une subvention!"

    Puis nous en venons aux confidences : " A l'âge de vingt-cinq ans j'ai eu de rares liaisons avec des femmes, car j'ai toujours aimé mes danseurs. En amour, j'ai besoin de m'identifier, j'ai de l'amitié pour mes danseuses, mais je ne peux faire l'amour qu'avec un garçon. Je reprendrai à mon compte le mot de Lyautey : " Je ne travaille bien qu'avec les hommes avec lesquels je couche."

                Déjà décoré par l'empereur du Japon et le roi des Belges, Béjart est élu en 1994 à l'Académie des beaux-arts. Désormais membre de l'Institut de France, son fauteuil sous la Coupole  récompense le créateur de cinquante ballets, mais aussi le pédagogue fondateur des écoles Mudra à Bruxelles, à  Lausanne, en Afrique et en Asie, le réalisateur de films et l'auteur de plus de dix livres.

                Le 29 décembre 1997, pour la journée mondiale du sida, la télévision diffusera son film Ballet for life  sur des musiques du groupe rock Queen et de Mozart, hommage à son amant Jorge Donn, disparu en 1994.  Béjart dira : " Mon grand amour a été Jorge Donn  c'était un amour extraordinaire, il me manque, il est irremplaçable."

     

    A la mort du chorégraphe, la Fondation Maurice Béjart hérite tous les biens et ses droits d'auteurs sur ses livres, films  et chorégraphies. Incinéré, ses cendres seront dispersées sur la plage d'Ostende.

     

    Sources: Colette Masson et Gérard Mannoni, Béjart, Calmann-Lévy, 1991