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  • SCHUBERT, LE CHANT DU “MISOGYNE”

    Dans son Journal et dans sa correspondance, l’auteur dramatique autrichien Franz Grillparzer (1791- 1872) confesse que Schubert et lui partageaient le même goût pour les hommes.

    Le poète allemand August von Platen (1796-1835) dans ses poèmes et dans son Journal (écrit par discrétion en français et en portugais) raconte l’homosexualité du milieu artistique que fréquente le compositeur viennois. Les soirées de beuverie entre artistes dissimulent sous l’apparence de la camaraderie des pratiques plus intimes…

    Franz Peter Schubert naît le 31 janvier 1797 à Vienne, douzième enfant d’un maître d’école et de sa femme, Elisabeth Vietz, couple de la petite bourgeoisie autrichienne. En 1808, Franz quitte la maison familiale pour entrer par concours dans le choeur de la Chapelle impériale. Antonio Salieri, directeur de la musique de la Cour et rival de Mozart, préside le jury.

    Au collège, Franz rencontre l’ami fidèle qui restera son intime toute sa vie : Josef von Spaun, son aîné de dix ans. Lorsque l’instinct créateur de Franz s’éveille, vers 1811, Mozart est mort depuis vingt ans, et Haydn, deux ans plus tôt.

    Schubert connaît et apprécie ces deux compositeurs, mais c’est surtout Beethoven qu’il admire et envie : « Qui peut encore composer après Beethoven ! » se demande-t-il.

    Le dramaturge Eduard von Bauernfeld nous éclaire sur les goûts artistiques de Franz. « Il n’aimait pas Euryanthe de Weber, mais adorait Der Freischütz, admirait Goethe, particulièrement son Divan occidental-oriental. » Soulignons que ce poème de Goethe évoque discrètement l’amour des garçons.

    Un autre auteur, Franz Grillparzer nous peint le tableau du cercle d’amis, Spaun, Lachner, Mayrhofer, Schober, poètes, peintres, musiciens, fonctionnaires, dont Schubert était le centre. Sa courte taille et sa myopie permettent au jeune Franz d’échapper au service militaire, il prend alors ses fonctions de maître auxiliaire à l’école de son père em 1814. Cette année marque le début d’une « amitié » avec Johan Mayrhofer, que Grillparzer décrit dans son Journal comme « misogyne, sarcastique et taciturne ». Cet étudiant devient, en 1820, attaché à la censure du gouvernement autrichien et il se suicide en 1836. Il portait à Schubert une grande admiration. Jusqu’où est allée cette amitié entre eux ?

    À l’automne 1815, le baron von Spaun présente à Schubert un étudiant en droit qui est presque son homonyme : Franz von Schober. Le compositeur est séduit par ce jeune aristocrate aux yeux bleus et l’introduit immédiatement dans le cercle de ses amis. Schober deviendra le secrétaire de Liszt et se mariera seulement à soixante ans passés. C’est Schober qui persuade Schubert de quitter l’école de son père et de se consacrer à la composition. Durant les années 1815 et 1816 il compose de nombreux chefs-d’oeuvre, néanmoins sa notoriété n’est pas suffisante pour assurer sa vie matérielle.

    Schubert accepte alors un emploi de maître de musique privé pour deux des filles du comte Esterházy, et part dans la résidence d’été de ce dernier à Zelesz en Hongrie. Dans sa correspondance, il se languit de ses amis Schober et Mayrhofer : « Je compose comme un dieu et, pourtant, j’éprouverai une joie infinie quand je pourrai dire : en route, en route pour Vienne ! » À son retour, il quitte la maison paternelle pour s’installer chez une logeuse, Madame Sans-Souci, où il partage la chambre de Mayrhofer. Le motif économique ne justifie pas seul la cohabitation. Car ce dernier déclare :

    « Schubert manifeste aux femmes de l’amitié, du respect, mais il en a peur ! » Les deux amis partageaient-ils non seulement la chambre, mais le même lit ?

    Évoquons les deux femmes, dont, selon les biographes, Schubert aurait été amoureux. La soprano Thérèse Grob à laquelle il dédie des lieder ? En 1820, cette jeune fille épouse un patron boulanger. Caroline Esterházy ? Le compositeur sait que son amour pour la fille d’un aristocrate, qui considère son professeur de piano comme un laquais, ne peut être payé de retour. Est-ce donc la fatalité qui condamne Schubert à voir échouer ses amours secrètes ?

    N’est-ce pas plutôt son peu de goût pour les femmes, attesté par ses contemporains ? Schubert, lui-même, devant ses amis reconnaît sa misogynie. Dans la société puritaine du 19e siècle, la litote « misogyne » était le seul adjectif autorisé pour désigner un homme qui avait de l’amour pour son propre sexe.

    En 1822, Schubert est atteint de la syphilis. Conséquence d’une tentative de « normalisation » avec une prostituée ? Un seul fait est certain : Mayrhofer n’est pas atteint par cette affreuse maladie.

    Lorsque son état empire, Schubert est recueilli par son frère Ferdinand. Le 31 mars 1824, il se confie alors à son ami Kupelwieser : « Je ne peux épancher mon coeur, je me sens l’homme le plus malheureux et le plus misérable du monde. Ma santé n’arrive pas à se rétablir, mes espérances de guérison sont réduites à néant, le bonheur de l’amour et les joies de l’amitié ne sont pour moi qu’une source de souffrance.

    Je passe mes jours sans joie et sans ami, sauf Moritz von Schwind qui vient quelques fois me voir et m’apporte un rayon de soleil. » Ce « rayon de soleil » est ainsi décrit par Bauernfeld :

    « Schwind est un si joli garçon qu’on le surnomme “cherubino”. Schubert en était complètement amoureux et l’appelait, en plaisantant (?) “mon amant”. »

    Lorsqu’il meurt à 31 ans, Schubert a composé neuf symphonies, quinze quatuors, une douzaine d’opéras, six messes, un oratorio. Il a offert l’immortalité à des poèmes de Goethe qui ont servi de paroles à plus de cinq cents lieder. L’échec de sa vie privée, le renoncement au bonheur n’ont cessé de nourrir son oeuvre. Le compositeur reconnaît :

    « Mes créations musicales sont filles de ma douleur. »

    Grâce à un étonnant pouvoir d’expression, à la hardiesse harmonique d’une note altérée, inattendue, il a su créer une atmosphère d’une étonnante beauté. Son ami Grillparzer, prévoyant sa gloire posthume, écrit son épitaphe :

    « Avec Schubert est enseveli le trésor d’une musique qui a encore de belles espérances. »