Quittant une soirée mondaine, le poète dit, à la stupéfaction des bourgeois : “J’attends chez moi un jeune cambrioleur qui est mon amant.”
Né à Quimper, en 1876, dans une famille de petits antiquaires juifs, Max Jacob vient à Paris, espérant faire carrière dans la peinture. Il a 26 ans lorsqu’il rencontre Pablo Picasso, âgé de 22 ans et totalement inconnu.
Max éprouve pour Pablo un amour dont rien ne nous permet de dire qu’il fut autre chose qu’admiration et amitié. Ils vivent ensemble en bons camarades dans le milieu des peintres d’avant-garde.
Picasso peint alors des toiles figuratives, que l’on appelle la « période bleue ». Il parlera toujours de Max avec respect et admiration. À son côté Max barbouille des gouaches. Picasso parvient à persuader Jacob que sa peinture est médiocre, que son véritable talent est dans l’écriture.
À partir de 1907, Jacob publie plusieurs contes brefs, mais c’est seulement en 1917, avec Le Cornet à dés qu’il va acquérir la notoriété. Des « poèmes en prose » brillants, drôles, déconcertants, que Francis Poulenc mettra en musique. La fantaisie, le saugrenu, le fantastique se côtoient dans son oeuvre originale et inclassable, qui préfigure le surréalisme et annonce Cendrars, Aragon, Desnos et Prévert. La prose de Jacob parfois obscure et ésotérique est comparable en nouveauté et complexité au cubisme naissant. Certains ont même qualifié l’auteur de « cubiste littéraire ».
Dans La Défense de Tartuffe l’auteur raconte que le Christ lui est apparu dans sa chambre le 7 octobre 1909. C’est un tournant dans sa vie. Jacob veut se convertir au catholicisme, mais l’Église le fait attendre jusqu’au 18 février 1915, date à laquelle il est baptisé à Notre-Dame de Paris, Picasso est son parrain.
Après cette conversion, Max exprime son amour pour le Christ avec des accents très charnels : « Ton cadavre, mon Dieu joli, je le tiens, tes bras entre mes bras et mon corps sur ton corps. Oh ! si je pouvais te rendre la vie, mon bien-aimé. Tu es encore plus beau qu’auparavant, chéri, je ne voudrais jamais te quitter. J’aime sentir ton corps dans mes bras. Ton ventre est dur aussi, c’est ce qui surprend le plus dans les cadavres. Je n’avais jamais vu comme tu as les pieds fins. Dieu, jeune homme plus que charmant, plus que séduisant, plus que génial… Je t’adore admirable mort. Corps de mon coeur, coeur de mon corps, reviens que je t’aime encore. »
Toute sa vie, Max Jacob sera déchiré entre sa foi de catholique pratiquant et son désir homosexuel.
De 1921 à 1927, il se retire dans le monastère de Saint-Benoît-sur-Loire. Rentré à Paris, il reprend son rythme infernal, qu’il confesse dans son recueil de poésies Fond de l’eau. L’écrivain Julien Green disait : « Il passait toutes ses soirées dans les cafés de Montparnasse à courir après un garçon qu’il ramenait chez lui. Le lendemain matin, il allait se confesser à l’église Notre-Dame-des-Champs. Quand il apparaissait dans l’église, les prêtres se cachaient derrière les piliers. Ils connaissaient la confession par coeur : c’était toujours la même. Max assistait à la messe, communiait et le soir il recommençait à chercher un autre garçon. »
Jacob ne cesse de culpabiliser : « Je suis un cochon, un salaud, je suis la honte, je suis la boue… » Ses amants sont souvent de jeunes malfaiteurs recherchés par la police. Un soir, il quittera une soirée mondaine en disant, à la stupéfaction des bourgeois : « J’attends chez moi un jeune cambrioleur qui est mon amant. »
Il rencontre Maurice Sachs, âgé de 19 ans, écrivain de talent, mais aussi voleur et plus tard collaborateur des nazis et dénonciateur de juifs. Comme sa poésie ne se vend pas, Jacob se remet à la peinture et confie la vente de ses toiles à son amant… qui le vole !
À partir de 1928, Jacob s’entoure d’une véritable cour de jeunes homosexuels qui vont s’illustrer dans tous les arts : Henri Sauguet, Antonin Artaud, Marcel Herrand, Louis Salou, Charles Trenet, Alain Daniélou. Jean Moulin fait partie du cercle de ses amis très proches. Sans que l’on puisse apporter la preuve d’une liaison sexuelle avec Max, il faut noter que dans la Résistance face à l’occupant nazi ce haut fonctionnaire prendra comme nom de code « Max » et que, lorsqu’il mourra en martyr, son secrétaire et ami Daniel Cordier le connaissait seulement sous ce nom.
Revenons aux années 1930… Avant de faire paraître son roman Le Sabbat, Sachs montre à Jacob le portrait peu flatteur qu’il a fait de lui et propose de retirer ces pages moyennant finances. Max refuse. Le très méchant portrait paraît, et c’est la rupture du couple.
La célébrité de Max Jacob ne dépasse pas, hélas, un petit cercle d’intellectuels, ses droits d’auteur sont médiocres. Pour gagner un peu d’argent, il fait un numéro de poésie au cabaret des Noctambules, et se présente ainsi : « Mesdames, Messieurs, vous ne me connaissez pas, personne ne me connaît, et pourtant j’ai mon nom dans le dictionnaire Larousse ! »
Arrêté comme Juif par la Gestapo – « Prononcez : j’ai ta peau », disait-il avec humour –, son certificat de baptême le sauve provisoirement. Mais le 24 février 1944, il est arrêté de nouveau et, cette fois, il est déporté au camp de Drancy. Jean Cocteau et Sacha Guitry interviennent auprès des Allemands pour obtenir sa libération. Trop tard : Max Jacob meurt cinq jours plus tard, emporté par une broncho-pneumonie.
Jacob, nourri de culture classique, déconcertant par son modernisme et son art inscrit dans la vie quotidienne, sa jonglerie verbale, demeure un écrivain incontournable. Cocteau fera cette belle oraison funèbre : « Je ne connaissais rien de plus beau que les yeux de Max Jacob. Il est presque normal que le monde se fasse poème en sortant d’une main après avoir traversé des yeux pareils. Un ange peut attaquer notre ami, une échelle céleste accaparer sa vue, qu’il veille ou qu’il dorme, qu’il parle ou qu’il se taise, qu’il écrive ou qu’il peigne, toujours le poème superbe coulera de sa main avec la volubilité folle des arabesques du miel qui tombent du ciel. »
En revanche, l’infâme "Je suis partout", journal des collaborateurs et des antisémites, osera écrire : « Max Jacob est mort, juif par sa race, breton par sa naissance, romain par sa religion, sodomite par ses moeurs, le personnage réalisait la plus caractéristique figure de Parisien qu’on puisse imaginer, de ce Paris de la pourriture et de la décadence. »
En octobre 2006, Gabriel Aghion réalise pour la télévision le film Monsieur Max. Jean-Claude Brialy interprète le rôle-titre, quelques mois avant de mourir, le 30 mai 2007.
Commentaires
Je vous félicite pour votre critique. c'est un vrai exercice d'écriture. Continuez .