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Goethe, un diable d’homme

« J’ai fait aussi l’amour avec des garçons, mais je leur préférais les filles, car quand elles me lassaient en tant que filles, je pouvais encore m’en servir en tant que garçons. » Goethe

Né en 1749 à Francfort, Johann Wolfgang von Goethe étudie les arts à Leipzig et le droit à Strasbourg, avant d’obtenir une charge d’avocat à la cour impériale de Francfort.

Son drame en prose Goetz de Berlichingen (1773) et le roman Les Souffrances du jeune Werther (1774) sont à l’origine du mouvement littéraire connu sous le nom de « Sturm und Drang » (tempête et emportement) qui marque le début du romantisme. Goethe devient rapidement le chef de file des intellectuels de langue allemande.

Le duc Charles-Auguste de Saxe-Weimar l’attache à son service comme conseiller secret, en 1776, puis commissaire à la guerre, en 1779. Anobli en 1782, il devient directeur des finances de l’État. Dans son Voyage en Suisse, il confesse avoir été, dans son enfance, amoureux de son camarade Ferdinand : « J’engageai Ferdinand à se baigner dans le lac. Que mon jeune ami est admirablement bien fait ! Quelle juste proportion dans tous ses membres ! Quelles richesses de formes ! Quel éclat de jeunesse ! Et pour moi quel avantage d’avoir enrichi mon imagination de ce parfait modèle de la nature humaine… »

Et dans un poème (traduit par Guillot de Saix), il glorifie le corps de l’éphèbe :

« Dans l’éclat de l’aurore lisse,

De quels feux tu m’as enflammé,

Ô mon printemps, mon bien-aimé,

avec mille et mille délices !

Éros, prends-nous sous les aisselles,

Que nous montions en notre toit,

Nous serrer tous deux contre Toi,

Dieu des amours universelles. »

Dans un autre poème écrit à son retour d’Italie, Goethe raconte son aventure avec un garçon dans sa petite maison de campagne. Le jeune homme semble plutôt mal élevé et sans gêne, car Goethe s’en plaint : « Depuis plusieurs jours, tu agis en tyran, comme si tu étais le maître… » En outre, il est un compagnon de lit encombrant : « Chaque nuit, je suis expulsé de ma couche, je me retrouve par terre. »

Après Goetz de Berlichingen, un autre drame, Clavigo (1774), sa tragédie Egmont (1788) et son roman Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister (1796), Goethe est reconnu définitivement comme le plus grand écrivain allemand, et le plus prolixe : cent vingt volumes ! Tout en poursuivant son oeuvre gigantesque, Goethe doit assumer son titre de conseiller du duc de Weimar. Cette charge officielle est critiquée par Beethoven : « L’air de la cour plaît trop à Goethe, plus qu’il ne convient à un poète qui devrait être un guide de la nation et renoncer à tout ce clinquant ! » Goethe réplique : « Je me sacrifie à ma fonction. »

Il est donc présent le 27 septembre 1808 au congrès d’Erfurt au cours duquel Napoléon, vainqueur des nations coalisées, souhaite faire la paix avec le tsar Alexandre. L’empereur et Goethe manifestent l’un pour l’autre une profonde admiration. Napoléon lui avoue qu’il a lu et relu Werther durant la campagne d’Égypte, et l’invite à écouter le grand acteur Talma venu jouer avec la Comédie-Française devant le tsar. Enfin, Napoléon décore Goethe de la Légion d’honneur ! À ce moment l’écrivain voit dans l’empereur le génie qui libère les peuples opprimés. Hélas, après Waterloo, quelle sera la douleur de Goethe de se retrouver ministre au congrès de Vienne, qui dépècera l’Empire napoléonien au profit des vieilles monarchies…

C’est à ce moment que paraissent ses oeuvres de jeunesse – Poésie et vérité, Voyage en Italie – et ses ouvrages biographiques dans lesquels il manifeste un regain d’intérêt pour la pédérastie. Par exemple, dans sa traduction de La Vita de Cellini, Goethe note avec complaisance l’amour de Benvenuto pour les garçons : « C’est surtout la beauté de la jeunesse masculine qui faisait son effet sur Cellini et il eut beaucoup de succès en arrivant un soir dîner chez des amis avec à son bras un joli garçon travesti. »

Et à propos de Rome, Goethe évoque Winckelmann qui, dans son Histoire de l’art chez les Anciens, fait l’apologie du corps masculin idéalisé par la sculpture gréco-latine. Goethe parle avec sympathie de l’homosexualité notoire de cet helléniste fondateur de l’archéologie moderne : « Nous trouvons Winckelmann souvent lié à de beaux garçons, il n’apparaît jamais plus aimable qu’à ce moment-là. »

En 1819, s’inspirant du poète persan Hâfez Shirâzi, Goethe écrit Le Divan occidentaloriental. Le chapitre de l’échanson évoque un garçon rencontré à Heidelberg en 1814. Goethe met dans la bouche du jeune garçon des paroles douces à son oreille (il a 65 ans à l’époque) : « Je t’écoute volontiers quand tu chantes, je t’aime encore mieux quand tu m’embrasses pour laisser une trace, car les mots s’envolent, le baiser demeure. »

Plus tard, dans son commentaire sur Le Divan, Goethe confesse qu’il s’est imposé une autocensure dans sa description de l’amour du jeune échanson et de son maître : « Pour ne pas choquer le puritanisme de mes contemporains. » Dans le second Faust – qui ne paraîtra qu’après sa mort –, Méphistophélès avoue sans ambages son attirance pour les « beaux garçons » et les « aimables enfants » :

« Je me plais à les voir ces aimables enfants.

D’où vient que je n’aie plus la force de maudire ?

Si je me laisse aller à de tels sentiments,

Comme fou désormais ne pourra-t-on m’inscrire ?

Ces drôles que je hais, je les trouve charmants.

N’êtes-vous pas aussi, beaux garçons, de la souche

De Lucifer ? Vraiment vous êtes si jolis

Que je vous baiserais volontiers sur la bouche.

Je suis si bien, si bien en votre compagnie,

Que je me sens vraiment comme chatte en folie…

Sans blesser la pudeur, vous pourriez sûrement

Vous montrez moins vêtus : cette longue chemise

Est beaucoup trop morale, à parler franchement.

Ils se tournent…toujours et de toute manière

Les drôles sont charmants, par-devant, par-derrière ! » (traduction A. Poupart).

Bien que marié en 1806 avec Christiane Vulpius, dont il aura un fils, mort en 1830, Goethe poursuivra ses aventures sentimentales en trompant allègrement son épouse aussi bien avec des garçons que des filles. Goethe n’avait aucun des préjugés de son époque concernant le vice ou la vertu. Son centre d’intérêt, son jugement, son critère sont l’esthétique et non la morale.

Sa bisexualité ne lui pose donc aucun problème. Il est proche des philosophes de l’Antiquité : la conscience religieuse, le sentiment du péché ne l’effleurent pas. Il représente un état d’âme antérieur au christianisme, avec une extraordinaire audace pour son époque. Il s’abandonne à toute passion qui se présente, sans culpabilité ni remords. Professeur d’optimisme, il a la religion de la beauté, la passion de la recherche dans tous les domaines, l’amour de l’action, de la vérité, de la vie. Ce génie meurt en 1832, à l’âge de 83 ans.

Commentaires

  • Cet article est bien fait et je l'ai apprécié. Spécialiste de littérature érotique et censurée au XVIIIème, je suis d'accord avec la conclusion de bisexualité de G., c'était dans l'air du temps de l'époque chez les "Grands", cf. le prince de Ligne. J'aimerais si possible avoir les références exactes des citations, notamment de la première au début de l'article en rouge.
    Cordialement
    JPLM

  • Je vous applaudis pour votre paragraphe. c'est un vrai boulot d'écriture. Poursuivez .

Les commentaires sont fermés.