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  • Gustave FLAUBERT:Il y a des jeunes gens de 18 ans magnifiques..

    Gustave Flaubert

    (1821-1880)

    « Madame Bovary, c’est moi !” disait Flaubert, et dans ses notes il écrit: “ Il y a des jours où j’aimerais être femme. » Voilà d’étranges aveux. On trouve dans le caractère du romancier une incontestable féminité, et les passions inassouvies de son héroïne sont exprimées avec une telle authenticité et un tel réalisme qu’elles semblent avoir été vécues par l’auteur. Cette véracité fit d’ailleurs scandale à l’époque  et apporta à Flaubert un procès…et la gloire.

    Dans Bouvard et Pécuchet, le couple formé par les deux amis prête parfois à l’équivoque, mais l’auteur n’ose jamais franchir le pas. C’est dans le couple d’amants du fameux Bataillon Sacré de Salammbô  que Flaubert décrit précisément les amours masculines : « Vivant sans famille, ils reportaient sur un compagnon leur besoin de tendresse, on s’endormait côte à côte, sous le même manteau, à la clarté des étoiles. Il s’était formé d’étranges amours – unions obscènes aussi sérieuses que des mariages, où le plus fort défendait le plus jeune…et l’enfant devenu mercenaire payait ce dévouement par mille soins délicats et des complaisances d’épouse… Parfois deux hommes s’arrêtaient tout sanglants, tombaient dans les bras l’un de l’autre, l’amant faisait à l’amant des adieux éternels, et mouraient en se donnant des baisers. »

    Comparons cette description pudique et discrète aux confessions pleine de salacité que l’on trouve dans sa correspondance.Pour conserver à Flaubert le visage de la « normalité », le premier éditeur Monsieur Connard ! -je jure que je n’invente rien- a purement et simplement supprimé tous les passages concernant l’homosexualité.  A la Bibliothèque nationale  j’ai retrouvé les lettres que ce brave Connard avait censurées.En 1837, le jeune Gustave est au collège, il écrit à son camarade Alfred Le Poitevin, son aîné de cinq ans : « Continuité du désir sodomite, bandaison dans la culotte pour le beau Morel.Intensité lubrique, masturbation réciproque avec Morel. »

    A cette lecture, on peut supposer que Flaubert a eu quelques rapports avec ses jeunes camarades. Grand et mince avec une longue chevelure blonde, il est très séduisant. L’année suivante, dans Mémoires d’un Fou, il raconte son dépucelage par la femme de ménage de sa mère, et son dégoût de cette première aventure féminine : « Une femme se présenta à moi, je la pris et je sortis de ses bras plein de dégoût et d’amertume. A quinze ans, j’avais accepté cet acte comme un devoir, je devenais un homme. Mais cette femme-là je la pris en haine, son sourire me dégoûtait comme une grimace hideuse. »

    Dérision et répulsion pour le coït que nous retrouvons plus loin sous sa plume :« Deux être se rencontrent et s’aiment parce que l’un est un homme et l’autre une femme, et les voilà bientôt accouplés pour reproduire un imbécile de plus sur la terre, un malheureux qui les imitera. »

     Autant il trouve grotesque la liaison hétérosexuelle, autant il glorifie l’amour entre hommes :« Cet amour qui repousse toute idée de jalousie ou de possession, amour sublime qui n’est qu’un rêve… » A seize ans, il est en voyage et écrit à Alfred Le Poitevin, âgé de vingt et un ans :« J’ai encore pensé à toi aux arènes de Nîmes, je t’ai désiré avec un étrange appétit, car loin de l’autre, il y a en nous quelque chose d’errant, de vague, d’incomplet. »

    Le style sentimental  de Flaubert tranche avec la brutalité de la réponse de son ami Alfred : « Je t’embrasse le Priape en te socratisant. Je viendrai te voir sans faute lundi vers une heure. Bandes-tu ?  Gustave ne se console pas lorsque le bouillant Alfred se marie. Et lorsqu’il meurt prématurément à l’âge de trente-trois ans, Flaubert fait cette étrange confession : « J’ai eu, lorsqu’il s’est marié, un chagrin de jalousie très profond, car ça a été une rupture, un arrachement. Pour moi il est mort deux fois. »  Avec Maxime du Camp, son second ami intime, ils échangent une bague où leurs noms sont entrelacés : « Quand nous échangeâmes les bagues, ce fut une sorte de fiançailles. »

    Malheureusement en 1877, par crainte d’indiscrétions, ils brûlèrent la plus grande partie de leur correspondance, et Maxime écrit : « Ce n’est pas sans regret que nous avons anéanti ces pages où le meilleur de nos âmes s’était répandu. »

    Les rares lettres de Flaubert qui subsistent expriment toujours sa passion : « Je t’aime et je t’embrasse de tout cœur. Ecris-moi que tu m’aimes. »

    Les réponses de Maxime sont du même style :  « Je t’embrasse sur tes grands beaux yeux, je t’embrasse à t’étouffer. » (Lettres de mai à juillet 1844)

    Ce fut grâce à Maxime que Gustave devint célèbre, car il fit paraître Madame Bovary dans La Revue de Paris dont il était le directeur. Le 29 octobre 1849, nanti d’une soi-disant mission ministérielle qui n’est qu’une sinécure, Flaubert en compagnie de Du Camp entreprend un long voyage en Orient pour réunir la documentation nécessaire à son roman Salammbô. Les deux amis vont traverser L’Egypte,

    Le Liban, la Palestine, La Syrie, la Turquie et la Grèce. Loin de l’hypocrisie européenne ils vont se « défouler » sans complexes. Maxime était déjà venu en Orient en 1844.  Il va pouvoir guider utilement Gustave et lui procurer tous les plaisirs tarifés. Dans une lettre du 15 janvier 1850, écrite du Caire, Flaubert révèle l’intimité des liens qui l’attachent à son ami Louis Bouilhet :

     « J’ai reçu ta bonne lettre tant désirée, elle m’a remué les entrailles, j’ai mouillé.  Dans cette même lettre Flaubert raconte à Bouilhet ses aventures avec une pleine franchise :  « Ici c’est très bien porté. On avoue sa sodomie, on en parle à la table d’hôte. C’est aux bains que cela se pratique. On retient le bain pour soi (5 F. y compris les masseurs et la pipe) et on enfile son gamin dans une des salles. Tous les garçons de bains sont bardaches, ce sont ordinairement des garçons assez gentils… » Dans une autre lettre du 2 juin 1850 Flaubert répond à Louis Bouilhet :  « Tu me demandes si j’ai consommé l’œuvre des bains. Oui, sur un jeune gaillard gravé de la petite vérole qui avait un énorme turban qui m’a fait rire. Je recommencerai. »

     Le contenu de ces lettres laisse peu de doute sur la nature de la liaison entre Flaubert et Bouilhet, quand Gustave évoque le passé : « Je regrettais (le mot est faible) que tu ne fusses pas là. Je jouissais par moi de par toi. Je m’excitais pour nous deux, oh ! il  fut un temps où nous passions des heures ensemble, non je m’arrête, j’aurais l’air d’une garce délaissée. » Flaubert contracte la syphilis et déplore ensuite d’être obligé de s’abstenir :« Rien n’est beau comme l’adolescent de Damas. Il y a des jeunes gens de 18 à 20 ans qui sont magnifiques…mais à cause de ma vérole je suis obligé de vivre chastement. »

    Toutes ces citations sont rigoureusement authentiques…et pourtant  les exégètes censurent la bisexualité de Flaubert. Si le romancier refusa toujours de se marier, il fréquenta souvent les filles faciles et les bordels. Ses biographes insistent sur la liaison orageuse avec la poétesse Louis Colet. Toutefois, ce « collage » se termina très mal, témoin cette lettre du 13 avril 1854 : « J’ai toujours essayé (mais j’ai échoué) de faire de toi un hermaphrodite sublime. Je te veux homme jusqu’à la hauteur du ventre ; en descendant tu m’encombres et tu me troubles avec l’élément femelle. » Quel aveu ! Quant à l’amour de Flaubert pour Elisa Schlesinger, c’est une pure affabulation. Cette soi-disant passion pour une femme mariée rencontrée sur la plage de Trouville n’a été qu’un amour platonique, selon l’aveu même de l’auteur : « J’ai aimé cette femme de 14 ans jusqu’à 20 ans sans le lui dire, sans la toucher, et j’ai été près d’elle 3 ans sans sentir mon sexe. » Voilà comment on bâtit des légendes. La censure de l’homosexualité  perdure aujourd’hui : Jacques Weber a joué en 2009 une pièce sur la vie de Flaubert qui n’évoque pas un instant la bisexualité du romancier.

    Michel LARIVIERE  "On vous l’a caché à l’école " extrait de Têtu.