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  • Balzac, l’ambigu :" Venez vous faire foutre au plus vite!"

    De tous les personnages de La Comédie humaine, le forçat Vautrin est celui dont l’homosexualité apparaît le plus clairement. Sans que Balzac ne porte jamais de jugement sur son héros.

    Ayant eu de nombreuses conquêtes féminines et admiratrices, dont l’une qu’il épousa en 1850 quelques mois avant de mourir, la comtesse Hanska, Honoré de Balzac est resté plus discret sur ses ambivalences sexuelles. Mais certains témoignages méritent l’examen, notamment les correspondances dont les manuscrits se trouvent à la Bibliothèque Mazarine, à Paris. Ainsi, la lettre que Balzac écrit à son ami le journaliste et romancier Henri de Latouche, en octobre 1828 :

     « Vous qui m’envoyez faire foutre, si vous me prenez par les sentiments, venez vous faire foutre ici, et au plus vite ! »

     Les lettres de l’écrivain Eugène Sue, entre 1831 et 1833, sont plus significatives, comme celles qui se terminent par : « À vous de périnée *. J’admire votre prépuce et je suis le vôtre. »

     Ne faut-il voir, dans ces formules que des plaisanteries de potaches ?Les réponses de Balzac sont pour le moins ambiguës. Par exemple, celle du 5 octobre 1831 : « Vous ne vous souvenez guère de moi, ingrat, et vous croyez que parce que je vous critique sur le pied du lit (NDLR : c’est Balzac qui souligne), je ne vous défends pas face à l’opinion publique. Quelle erreur ! Un jour tu me connaîtras mieux grand scélérat. Tout à toi, monstre ! »

    En ce qui concerne la liaison entre Balzac et l’auteur dramatique Jules Sandeau, la correspondance est presque inexistante à part une lettre qui se termine par : « Mille choses tendres et caressantes. » Et une autre lettre de 1838, qui laisse supposer une froideur, ou une distance de la part de Balzac : « Je vous supplie de me donner un rendez-vous. Il faut absolument que je vous voie. Tout à vous. Jules. » Si ces documents ne sont pas probants, en revanche les correspondances avec son ami Laurent Jan qui commencent par « Mon chéri » et qui se terminent par « Je me presse sur ton gros sein », demeurent très ambiguës.

    Enfin, que faut-il penser de la liaison de Balzac avec Lassailly, telle qu’elle est rapportée par Albéric Second dans Le Figaro du 7 mars 1839 : « Vous ne savez pas la nouvelle ? Depuis environ six semaines M. Balzac et M. Lasssailly sont inséparables, ils éclipsent totalement Castor et Pollux **. Que signifie cette subite tendresse ? » 

     Si ce n’est pas de l’outing avant la lettre ! Et Le Figaro réitère le 17 mars em publiant un faux billet attribué à Balzac : « Mon cher Lassailly, j’ai faim de votre parole et soif de votre présence. Venez vite ! » D’autres témoignages suscitent la réflexion.

    Le premier est celui du critique littéraire Philarète Chasles, dans ses Mémoires :

    « On prêtait à Balzac les penchants de Tibère aux bains et des petits gitons cunnilinges lui étaient imputés. » Or selon l’historien romain Suétone, l’empereur Tibère « avait dressé des enfants à jouer entre ses cuisses lorsqu’il nageait dans son  bain, à l’exciter avec leur langue et leurs dents, et il leur donnait à téter ses parties sexuelles et ses tétons… » Cette réflexion concernant Balzac estelle dictée par la malveillance, ou existe-il une part de vérité dans cette supputation ? Même question à propos de celle de Théophile Gautier dans Lettre à la Présidente : « Il y a à Florence des pédérastes vagues où l’on pourrait trouver à loger son ver, si on avait les goûts de Balzac. »

    Notons une coïncidence troublante : presque toutes ces correspondances se situent au moment où Balzac s’est entouré de jeunes collaborateurs, et c’est précisément à cette époque que le romancier a créé les héros efféminés de La Comédie humaine. Ainsi dans Louis Lambert, Balzac utilise ses souvenirs d’enfance, quand il était pensionnaire au collège oratorien de Vendôme, de 1807 à 1813. L’amitié particulière qui le lie au jeune garçon de caractère féminin est probablement autobiographique : « Louis, vaporeux autant qu’une femme, m’inspira d’autant mieux sa passion pour l’espèce de sommeil dans lequel les contemplations profondes plongent le corps, que j’étais plus jeune et plus impressible. Nous nous habituâmes, comme deux amants, à penser ensemble à nous communiquer nos rêveries… À l’annonce de mon départ, Lambert devint d’une tristesse effrayante. Nous nous cachâmes pour pleurer. Jamais amant et maîtresse ne versèrent en se séparant plus de larmes que nous n’en répandîmes. »

    Dans La Maison Nucingen, Balzac met en scène la passion de Lord Godefroid de Beauregard pour son groom Eddy, « les cheveux blonds comme ceux d’une vierge de Rubens, les joues roses, âgé de 10 ans… Enfin, une vraie fleur de perversité. » Cette intrigue serait-elle la transposition romancée du sérieux attachement que Balzac témoigne à son propre groom ? Mais, de tous les personnages de La Comédie Humaine, le forçat Vautrin alias Jacques Colin, alias Trompe-la-Mort est celui dont l’homosexualité apparaît le plus clairement.  Dans Le Père Goriot, Vautrin « drague » littéralement Rastignac, puis le séduit par ses propositions. Le chapitre des Illusions perdues dans lequel Vautrin sauve Lucien de Rubempré est encore plus significatif. Envouté par la beauté de Lucien, l’abbé Carlos Herrera (alias Vautrin) se déclare sans retenue :

     « As-tu compris cette amitié profonde d’homme à homme, qui fait pour eux d’une femme une bagatelle, et qui change entre eux tous les rapports sociaux ? »

    Dans Splendeurs et misères des courtisanes, le faux abbé entretient Lucien comme une maîtresse, et vit, en quelque sorte par procuration la réussite sociale de son protégé. Balzac ose enfin appeler les choses par leur nom : « Vautrin est une tante. » Mais l’amour de Vautrin pour les hommes efféminés est toujours décrit comme une passion véritable et légitime, l’auteur ne porte jamais de jugement critique sur l’homosexualité de son héros. Même attitude dans une nouvelle intitulée Sarrazine. Le héros, au nom féminin, est amoureux de la chanteuse Zambinella, qui est en réalité… un castrat ! Là encore, le protagoniste conserve la sympathie du romancier. Quand Balzac écrit : « J’ai longtemps rêvé de posséder une double nature masculine et féminine », n’est-ce pas avouer sa bisexualité ?

    Comment un professeur de lettres au lycée ou à l’université peut-il prétendre enseigner et expliquer La Comédie Humaine s’il passe sous silence l’homosexualité du jeune Balzac, précisément à l’époque où ce géant des lettres créait les personnages de Vautrin, Rastignac et Rubempré ? Cette sournoise censure homophobe a la vie dure…

     

    * Périnée : partie du corps entre l’anus et les parties génitales.

    ** Castor et Pollux : couple de la mythologie.

     

    Michel LARIVIERE, Historien. On vous l'a caché à l'école extrait de Têtu